À Mayotte, la Cimade aux prises avec l’extrême droite
Depuis le 13 décembre, un collectif xénophobe empêche les membres de l’ONG d’accéder aux bureaux de l’association, l’accusant de faire le jeu des passeurs.
dans l’hebdo N° 1690 Acheter ce numéro
C’est un moment passé inaperçu dans la campagne électorale. Lors de son déplacement de trois jours à Mayotte, du 16 au 19 décembre dernier, Marine Le Pen s’est rendue devant les locaux de la Cimade. La candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle y rejoint le Collectif de défense des intérêts de Mayotte (Codim), un groupe ouvertement xénophobe qui proteste devant les bureaux loués par la Cimade, cette association qui accompagne les étrangers dans leur accès au droit dans toute la France. Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux montrent Marine Le Pen hochant vigoureusement la tête quand l’une des manifestantes, munie d’un haut-parleur, assène que la Cimade « donne du pouvoir à la clandestinité ». Elle prend ensuite la parole et promet aux membres du collectif de continuer à se battre avec eux « pour [les] défendre partout. Ici, à l’Assemblée nationale, demain je l’espère à la tête de l’État ».
Depuis, la tête de pont de l’extrême droite a quitté ce département français situé au large du Mozambique. Mais les manifestants sont toujours là. Et empêchent bénévoles et salariés de l’association d’accéder au local.
La situation dure depuis un mois. Tout commence le 13 décembre devant le tribunal administratif de Mayotte. Un ensemble d’habitants et d’associations, dont la Cimade, attaque un arrêté préfectoral prévoyant la destruction d’une partie du quartier de la Pompa, dans le centre de l’île. La préfecture s’appuie sur la loi Elan, qui facilite la destruction de quartiers insalubres. Et qui a entraîné des démolitions à marche forcée depuis octobre 2020, sans réelles propositions de relogement pour les habitants, contrairement à ce que préconise la loi.
L’action déplaît aux militants du Codim, qui souhaitent la destruction du quartier et l’expulsion de ses habitants sans papiers. Ils manifestent dans un premier temps devant le tribunal administratif avant de se diriger vers les locaux de la Cimade. « Ils ont pris possession de la terrasse », se souvient Rozenn Calvar, coordinatrice de Médecins du monde à Mayotte, l’une des organisations présentes à l’audience du 13 décembre.
Le collectif installe des banderoles sur le balcon. Y sont inscrits des messages comme « Stop au trafic d’êtres humains », ou encore « Cimadzi dehors » – un jeu de mots en -shimaoré qu’on pourrait traduire par « Cimade de merde ». À Mayotte, la question migratoire est sur toutes les lèvres, et l’action de l’État est en grande partie concentrée sur le contrôle et l’expulsion des sans-papiers. En 2019, Mayotte représentait à elle seule plus de la moitié des expulsions en France.
L’île représente plus de la moitié des expulsions en France.
Particularité de cette action réactionnaire ? Elle est menée presque exclusivement par des femmes. « Elles ont voulu nous faire sortir, nous empêcher de travailler, poursuit Rozenn Calvar_. On a décidé de rester. Ça a duré quatre ou cinq heures, pendant lesquelles elles sont montées sur le balcon, ont tapé sur les portes et hurlé des insultes. » Le tout, filmé en direct par des militantes facilement identifiables sur Facebook. La police est présente. Elle escorte finalement les salariés et les bénévoles hors de leurs locaux, mais ne déloge pas les manifestants. _« La Cimade cristallise énormément de tensions à Mayotte car c’est la seule association à véritablement communiquer au niveau local, analyse la salariée de Médecins du monde. Toute association qui œuvre dans le champ social, militante ou pas, peut être prise à partie sur le terrain. Ça dissuade de trop parler. Entre la pression des manifestants et celle des pouvoirs publics qui financent les actions, les petites associations accomplissent leur boulot sans faire de vagues. »
Depuis cette première manifestation, des membres du collectif sont postés en permanence devant les locaux de l’association pour empêcher une reprise normale du travail. Les deux salariées de la Cimade sont contraintes au télétravail. Les bénévoles n’ont, quant à eux, plus accès aux bureaux. L’affaire ne s’arrête pas là. Marine Le Pen évoque à nouveau le sujet, le 12 janvier, lors d’une interview donnée à BFM TV : « À Mayotte, la population mahoraise manifeste contre la Cimade. Parce que la Cimade organise la filière d’immigration clandestine en provenance des Comores. »
Des déclarations qui scandalisent Pauline Le Liard, salariée de la Cimade sur place. « C’est grave. On entend ce genre d’accusation régulièrement ici. Mais là, c’est légitimé par une responsable politique de premier plan, qui a fait ses plus gros scores à Mayotte. » Aux élections européennes de 2019, le RN a effectivement recueilli 45 % des suffrages.
La Cimade annonce avoir porté plainte contre X pour menaces et diffamation. C’est la deuxième du genre depuis 2018. À l’époque, des membres du Codim avaient déjà tenté d’entrer dans les locaux de l’association et menacé de tout brûler. « C’était très impressionnant, confie Hairiya Hassani, la présidente du groupe local de l’association. Mais, il n’y a jamais eu de suites données à cette plainte. »
Interrogé, le procureur de la République, Yann Le Bris, affirme ne pas être au courant. « Rien ne m’a été remonté, ni par la Cimade ni par les services de police. » Il assure qu’il va de nouveau se pencher sur la plainte déposée en 2018.La préfecture, de son côté, n’a pas donné suite à notre demande d’interview. Mais le préfet, Thierry Suquet, met sur un pied d’égalité les méthodes de la Cimade et du Codim dans une interview donnée sur Mayotte La 1re : « Il n’y a pas de sujet d’ordre public. Les voies ne sont pas barrées. Il n’y a pas de violence. La police lutte contre la délinquance. Le collectif conteste l’action de la Cimade. La Cimade conteste l’action de l’État. Tout ça se passe devant les tribunaux administratifs et la préfecture est parfaitement sereine. »
Le 20 janvier, les bénévoles de la Cimade tentent de revenir dans les bureaux. Leur présence ne dure que quelques heures, sous un torrent d’insultes. « Nous avons été contraints de prévenir rapidement la police », précise Pauline Le Liard. « Je me sens en danger, reprend Hairiya Hassani. Il y a une dizaine de personnes qui guettent et qui en appellent d’autres si jamais on arrive. Je suis passée devant les locaux il y a quelques jours, mais sans essayer d’entrer. Toute seule, je n’aurais pas pu faire face. »
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