Barbara Butch : « Il faut diffuser la pédagogie de la fête »
La DJ et militante queer Barbara Butch alerte le gouvernement sur la nécessité d’agir contre les violences sexistes et sexuelles et regrette l’immobilisme coupable de certains lieux festifs.
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Connue pour ses sets enflammés aux influences disco et populaire, notamment au Rosa Bonheur à Paris, Barbara Butch l’est aussi pour son engagement contre la grossophobie. La « love activist », comme elle se définit elle-même, a été élue personnalité LGBTQ+ de l’année 2021 à l’occasion de la quatrième cérémonie des Out d’or, en décembre. Elle milite contre l’invisibilisation des corps qui échappent à la norme – à titre d’exemple, gros ou porteurs de handicap –, notamment dans le milieu de la nuit. Après avoir figuré en couverture de Télérama en février 2020 pour illustrer le rejet des personnes obèses, censurée sur Instagram car elle apparaissait nue, elle est aujourd’hui l’égérie du parfum La Belle Intense de Jean-Paul Gaultier. Elle figure parmi les premières signataires de la tribune du Monde, parue le 30 décembre, qui réclame des mesures urgentes contre les agressions au GHB.
Pourquoi avoir signé la tribune du Monde ?
Barbara Butch : C’est une problématique très importante à laquelle j’ai déjà été confrontée en tant qu’actrice du milieu de la nuit. On est à une époque où l’on essaie de sensibiliser au maximum sur les violences sexistes et sexuelles, et les faits décrits dans le mouvement Balance ton bar en font partie. Il est urgent que le gouvernement agisse pour trouver des solutions en partenariat avec les associations sur le terrain et faire de l’éducation dans les milieux festifs.
La nuit est-elle un moment où les différences sexistes s’expriment plus ouvertement ?
Non, pas du tout. La société donne autant de privilèges aux hommes la nuit que le jour. La fête est l’un des nombreux milieux concernés par ces inégalités, comme au travail, au sein du couple… Les femmes n’ont pas tardé à dénoncer les comportements violents la nuit – c’est simplement que la parole se libère parmi les victimes parce qu’elles sont très peu écoutées par les institutions, que ce soit la justice ou la police. On se sent obligé·es de créer des espaces safe [« sûrs » – NDLR] dans lesquels les victimes peuvent s’exprimer et être crues.
En 1997, le Pulp (1) est créé par des femmes et pour des femmes, dans le but d’avoir ce type d’espace safe que vous évoquez. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
La notion de consentement n’était pas aussi prégnante : de fait, on n’en parlait pas. Même si le Pulp était un espace safe, je pense que j’ai pu être agressée mais je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment. On a la chance aujourd’hui de pouvoir faire de l’information sur le consentement dans le milieu de la nuit – c’est quelque chose qui manquait. Il faut faire de la pédagogie de la fête : inviter des collectifs de réduction des risques sur la drogue, parce qu’ils savent reconnaître les bons gestes, des associations qui travaillent sur les violences sexistes et sexuelles. Il y en a plein en France ! Elles doivent occuper l’espace.
« J’appelle les DJ à boycotter des clubs où il y a eu des agressions »
Cette éducation du public doit s’accompagner d’une meilleure formation des barmans et du personnel de sécurité, car certaines victimes décrivent avoir été jetées dehors parce qu’elles étaient considérées comme trop alcoolisées. Quand une femme ou une personne trans explique que quelqu’un a été offensant, il ne faut pas que le videur pose des milliers de questions. Il faut qu’il agisse.
Des collectifs existent depuis des années, et pourtant les agressions persistent…
Je pense que ce sont surtout les hommes qui n’arrivent pas à comprendre que, quand une femme boit ou se drogue, ce n’est pas un signe qui consisterait à dire : « Je t’ouvre mon corps. » Ce n’est pas une porte ouverte à la sexualité. Il y a ce préjugé sur le fait qu’une femme qui boit est une femme qui se dégrade. Tout le monde a le droit de faire la fête, mais personne n’a le droit de violer.
Les personnes qui sont le plus exposées au risque de se faire agresser, à savoir les femmes et les personnes LGBTQ, doivent pouvoir sortir sans avoir peur qu’il leur arrive quelque chose. Quand je sors avec ma copine et qu’on nous traite de « sales gouines », je dois pouvoir aller voir le videur, le barman ou le patron du bar sans avoir peur qu’on me rie à la gueule ou qu’on me vire parce que je fais un scandale.
Depuis le début de la crise sanitaire, les politiques ont été accusés de ne pas prendre au sérieux les acteurs du milieu de la fête. Le mouvement Balance ton bar peut-il changer cette perception ?
Sauf prise de conscience, la réponse risque d’être une nouvelle répression sur les lieux de fête et les gens qui sortent. Alors que les responsables, ce sont les agresseurs. Malheureusement, les politiques regardent encore la nuit par le seul prisme du danger et de la décadence. Alors qu’on a besoin de la nuit, de la fête et de la musique. Et les établissements, eux, refusent de voir la vérité en face.
Justement : les espaces de fête alternatifs sont habitués à accueillir des associations de réduction des risques. Les établissements davantage mainstream refusent-ils encore de s’en inspirer ?
Comme ils craignent de recevoir une fermeture administrative, ces espaces de fête ont peur d’attirer des associations de prévention qui expliquent aux gens comment prendre leur drogue sans risque. On préfère dire qu’il n’y a pas de drogue qui tourne, quitte à avoir des accidents comme des « G–holes(2) » ou des agressions, plutôt que de prendre ses responsabilités. Laisser les victimes fait partie de la culture du viol. Or, quitte à se droguer, autant bien le faire plutôt que de se foutre en l’air !
Sentez-vous que le vent tourne parmi les DJ et qu’on peut plus facilement porter une parole politique ? Ou bien, face à l’industrie du club, cette position demeure-t-elle minoritaire ?
Je pense que ça reste une prise de position minoritaire. Des collectifs à Paris ou des clubs n’ont pas envie de prendre le temps de faire de la pédagogie, d’embaucher des personnes pour veiller au bien-être du public. Je l’ai dénoncé des milliers de fois, mais apparemment ça ne suffit pas. Il y a plein de lieux à Paris où je refuse de mixer parce que je sais qu’il y a eu des agressions, des victimes pas écoutées, des barmans problématiques. Je n’hésite pas à boycotter des collectifs et des soirées. Je le fais depuis des années. Et j’appelle les autres DJ à me suivre. Nous avons nous aussi notre part de responsabilité.
(1) Le Pulp était un club lesbien parisien, fermé en 2007.
(2) Un « G-hole » est un épisode de perte de mémoire ou de conscience dû à une prise excessive de GHB.