Covid : les vrais combats de la gauche
À ceux qui se demandent où est la gauche, elle est dans la redéfinition d’un grand service public de santé dont les dirigeants calculent moins et soignent plus. Puissent les leçons de cette pandémie être tirées en profondeur.
dans l’hebdo N° 1687 Acheter ce numéro
On connaît la parabole de l’âne de Buridan, mort de faim pour n’avoir pas su choisir entre deux picotins d’avoine. Depuis le début de la pandémie, le président de la République – sauf le respect que je lui dois – est un peu à l’image de l’équidé de Jean Buridan. Il navigue entre deux injonctions contradictoires : suivre médecins et épidémiologistes dans le tout sanitaire – confinement, couvre-feu, fermeture des écoles –, ou privilégier l’impératif économique et social, et maintenir le pays en état de marche. Voilà qu’en cette rentrée, c’est nettement la seconde option qui a la préférence de l’exécutif, au grand dam particulièrement des praticiens hospitaliers. C’est un choix évidemment politique. Celui qui déplaît le moins à des agents économiques, et qui, dans l’instant, déplaît le moins à une opinion fatiguée préférant se résigner à quelques contraintes, comme le passe sanitaire. Ou vaccinal. Le pari est risqué. Mais on se gardera bien ici de jouer les oracles. Si ce mois de janvier, pour lequel les prévisionnistes nous prédisent l’enfer, passe sans trop d’encombres, Emmanuel Macron s’en tirera à bon compte. S’il advenait que des gamins soient gravement touchés après avoir été contaminés à l’école, l’opinion, à n’en pas douter, se retournerait violemment contre le pouvoir. Ce pari est encore plus risqué qu’il y paraît. Car le variant omicron, à raison de plus d’un million de contaminations par semaine, pourrait tout de même finir par désorganiser l’Éducation nationale et paralyser l’économie pour conduire à l’option que le gouvernement n’a pas voulue. L’âne de Buridan, vous dis-je.
Et la gauche dans tout ça ? Je ne crois pas que l’opposition systématique soit de bon aloi dans une situation aussi complexe. Macron tient bon dans les sondages. Comme si le caractère systématique des critiques avait un effet paradoxal. À lui l’ingratitude du pouvoir, aux autres les beaux discours. Le principe de responsabilité doit donc prévaloir. Ne pas chercher à flatter les ignorances, ni à politiser à l’excès ce qui n’est pas politisable. Le vaccin par exemple. La responsabilité dicte d’y encourager nos concitoyens les plus réticents. Christiane Taubira s’est semble-t-il rendu compte de sa bévue après avoir refusé d’appeler ses compatriotes guyanais à la vaccination. Jean-Luc Mélenchon lui-même ne parvient toujours pas à être clair sur le sujet, jusqu’à affirmer le 3 janvier sur France Inter qu’« il n’y a pas d’argument rationnel » en faveur de la vaccination… L’exemple nous vient des États-Unis, où Alexandria Ocasio-Cortez et Bernie Sanders mènent une intense campagne en faveur du recours aux vaccins.
Il est vrai que le gouvernement a répandu, un temps, l’illusion que les produits de Pfizer, Moderna, Johnson & Johnson et autre AstraZeneca constituaient des remèdes magiques. Ils ne le sont pas. Mais leurs vertus sont considérables. Les non-vaccinés ont 9 fois plus de risques d’être hospitalisés, et 14 fois plus de finir en soins critiques. Le but est non seulement d’épargner des vies mais aussi d’éviter l’effondrement de notre système hospitalier. Une expression lourde de drames humains et de cas de conscience pour le personnel soignant. Invoquer la liberté individuelle relève donc du contresens. Pour paraphraser Robespierre, disons que la liberté des antivax s’arrête là où commence celle des soignants à prendre en charge des victimes d’autres pathologies. Je n’irai pas jusqu’à emboîter le pas au professeur André Grimaldi qui se demande si les antivax ne devraient pas assumer leur libre choix en s’engageant à ne pas être ranimés. Formule que je veux entendre comme rhétorique, mais qui exprime la colère d’un homme qui est une conscience dans le domaine médical. La gauche ne devrait ni se diviser ni perdre son temps dans un débat qui n’a plus lieu d’être alors que la science a tranché.
Elle doit en revanche continuer le combat pour la levée universelle des brevets des Big Pharma. Ce à quoi s’oppose l’Union européenne qui replace là où il lui convient son curseur. Les profits d’abord. On entend que Pfizer s’y serait finalement résigné pour l’accès à sa nouvelle molécule antivirale. Médecins sans frontières corrige : en fait, l’accord conclu avec l’agence Unitaid exclut les grandes puissances émergentes, Chine, Brésil ou Argentine, qui, comme par hasard, ont une vraie capacité de production. Or, le covid-19 ne sera ni éradiqué ni même ramené à l’état de simple grippe tant qu’il continuera de circuler sur une grande partie de la planète. La gauche doit surtout repenser globalement la politique de santé. Le professeur Grimaldi s’y est essayé dans son Manifeste pour la santé 2022, qui peut venir en renfort des programmes de Mélenchon, Jadot ou Roussel, déjà très élaborés (1). Lire en particulier les pages consacrées à « l’heure des managers » et à « l’étranglement de l’hôpital public par l’austérité » (les années 2010-2019). Un massacre vécu de l’intérieur. À ceux qui se demandent où est la gauche, elle est là dans cette redéfinition d’un grand service public dont les dirigeants calculent moins et soignent plus. Puissent les leçons de cette pandémie être tirées en profondeur. Car ce n’est pas seulement affaire de lits. Ce sont aujourd’hui les personnels qualifiés dans toutes les spécialités qui manquent. C’est toute la pyramide sociale qui vacille, quand on redécouvre que ce sont les fonctions les plus essentielles, les soignants, les enseignants, qui sont les moins considérées. Et puisque c’est l’heure des vœux, formons celui que les responsables de ces deux décennies calamiteuses soient sanctionnés. Il y a, paraît-il, une échéance pour ça. Alors bonne année de mobilisation à toutes et à tous. a
(1) Manifeste pour la santé 2022, André Grimaldi, Odile Jacob..
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