Grève du 13 janvier dans l’Éducation nationale : dans le cortège, le malaise est partout
Plusieurs manifestations ont eu lieu en France ce jeudi 13 janvier pour dénoncer la gestion sanitaire du gouvernement au sein de l’Éducation nationale. Les personnels, nombreux à battre le pavé, estiment que la pandémie a servi de révélateur. Leur ras-le-bol est ancien et bien antérieur à la propagation du virus. À Paris, parole de manifestants.
C ‘est le chaos : on est débordés du point de vue sanitaire et, pédagogiquement, on ne peut rien faire. » Romain, professeur du second degré, témoigne de la difficulté d’effectuer son métier d’enseignant alors que les protocoles sanitaires s’enchaînent et que les élèves sont absents jour après jour : « Lorsque cinq élèves reviennent après une semaine d’absence, cinq autres doivent s’isoler à leur tour. Jean-Michel Blanquer se félicite de garder les écoles ouvertes. Mais elles sont devenues des garderies et des clusters géants. »
Enseignants, inspecteurs, personnels de directions, accompagnants d’élèves handicapés (AESH), infirmières scolaires, Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) et parents d’élèves ont pris aujourd’hui possession du boulevard Saint-Michel, aux abords du jardin du Luxembourg, dans un mouvement de grève d’une ampleur considérable sur le plan national : 75 % de grévistes parmi les enseignants du primaire et 62 % dans le collège et les lycées, selon les syndicats. 38,5 % d’enseignants grévistes dans les écoles et 23,7 % dans les collèges et lycées selon le ministère de l’Éducation nationale. À Paris, près de 200 écoles sont restées portes closes toute la journée. Tous les maillons du système éducatif sont descendus dans la rue. La raison de cette mobilisation ? La politique du gouvernement face à la crise du Covid-19 dans leur secteur.
Gestion illisible de la crise
Dans le cortège parisien, si l’ambiance est bon enfant, le ras-le-bol est général. Tous dénoncent une gestion « illisible » de la crise et demandent « des protocoles qui soient en lien avec la réalité, des mesures de protection personnelle et collective, des masques FFP2, des systèmes d’aération », comme le précise Bénédicte, AESH dans une école primaire en région parisienne. Des attentes éloignées des récentes annonces du gouvernement : les parents n’ont plus besoin d’aller chercher immédiatement leur enfant s’il est déclaré cas contact, trois autotests étalés sur cinq jours sont désormais nécessaires (et non plus un PCR ou un antigénique et deux autotests) lorsqu’un enfant est positif.
Des changements protocolaires continuels qui déstabilisent le personnel. « Regarder les informations pour être au courant des mesures que je dois mettre en place, ce n’est vraiment pas mon rôle », déplore Fatima, directrice d’une école des Hauts-de-Seine. Une référence à l’annonce du dernier protocole en date du Premier ministre Jean Castex effectuée par voie de presse et au JT de 20 heures lundi 10 janvier. Ou encore à celle de Jean-Michel Blanquer qui, dans Le Parisien, exposait un nouveau protocole la veille de la rentrée. En huit jours, le gouvernement a revu trois fois ses procédures sanitaires. Depuis deux ans, on en dénombre une quinzaine.
Comme l’ensemble du personnel mobilisé, Fatima se sent de plus en plus surchargée. Elle doit constamment s’adapter et assurer des tâches qui ne sont normalement pas de son ressort comme « les fiches de signalements pour l’ARS, les remontées d’informations pour l’Inspection et le tracing presque quotidien ». Sans aide ni accompagnement, elle se sent bien seule.
Malaise profond
Un sentiment d’exaspération partagé par tous les manifestants et syndicats, qui regrettent que le débat se réduise à « tester ou fermer ». Les cours doivent avoir les moyens de se tenir en dépit de la crise. Mais tout manque pour y parvenir : les postes sont supprimés, des classes ont fermé, les moyens financiers se sont réduits et certains emplois pâtissent d’un manque de reconnaissance. La crise sanitaire révèle en réalité des problèmes anciens, qui touchent à la structure même de l’Éducation nationale. Soraya est venue témoigner de la situation dans le lycée professionnel de Bondy où elle enseigne en première et en seconde. « Quinze professeurs sont absents depuis la rentrée et aucun n’a été remplacé, explique-t-elle. Mais ce problème dure depuis pas mal d’années. » Mercredi 12 janvier, elle a enseigné à une classe de… deux élèves. Les autres suivaient les cours en ligne depuis chez eux. L’enseignante s’est toujours adaptée durant cette crise mais avoue que cette continuité pédagogique à deux vitesses « rend les choses plus difficiles ».
Wilfried, venu manifester en tant que parent d’élève, pointe les suppressions de postes en cours dans l’académie de Créteil, où est scolarisée sa fille. « Alors qu’il faudrait recruter, pour pouvoir assurer des remplacements et une continuité pédagogique pour les enfants, 94 postes ont été supprimés. Cela fait bientôt trois ans que l’apprentissage est mis à mal, rien n’est fait pour y remédier. »
Un manque d’effectifs qui affecte toutes les professions du secteur. Les infirmières scolaires ne sont ainsi que 7 700 pour 62 000 établissements. « Il faudrait recruter des médecins et des infirmiers scolaires, mais surtout revaloriser ces métiers qui souffrent d’un manque d’attractivité », pointe Wilfried. Les AESH sont également en nombre insuffisant selon Emmanuel, qui accompagne des élèves en situation de handicap au collège. Il dénonce un statut précaire et une absence de valorisation : « Nous avons besoin de plus d’AESH, mais aussi de davantage de formation et d’une revalorisation des salaires. Vivre avec 800 euros par mois, c’est compliqué, surtout quand pour les parents isolés qui doivent subvenir aux besoins de toute une famille. »
« En cassant le service public de l’éducation, Jean-Michel Blanquer accentue les inégalités contre lesquelles il prétend lutter », affirme Romain, professeur du second degré. Le cortège, qui avait pour objectif d’arriver aux pieds du ministère de l’Éducation nationale, rue de Grenelle dans le 7ème arrondissement, avait donc une cible : la politique de leur ministre de tutelle. Si les représentants syndicaux à l’origine du mouvement ont été reçus par leur ministre par Jean-Michel Blanquer, le Premier ministre Jean Castex et le ministre de la Santé Olivier Véran, le cortège, bloqué par les forces de l’ordre boulevard Raspail, ne réussira pas à se faire entendre jusque-là.
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