« La localisation de Mayotte est une chance pour la France »
Il n’y a pour l’instant aucune vision développée par Paris dans la zone, si ce n’est militaire et gazière, déplore le chercheur Christophe Rocheland.
dans l’hebdo N° 1690 Acheter ce numéro
Doctorant à l’Institut français de géopolitique et spécialiste de La Réunion et de Mayotte, Christophe Rocheland déplore que la France ne prenne pas en compte la situation migratoire des Comores autrement que par le biais de la répression. Outre des intérêts économiques évidents, la forte composante musulmane et la langue parlée dans l’île de l’océan Indien sont des atouts diplomatiques majeurs.
Mayotte est devenue un département français en 2011. La relation entre cet archipel et la métropole est presque passionnelle. Comment l’expliquez-vous ?
Christophe Rocheland : D’une part, Mayotte a une histoire très ancienne avec la France. Elle remonte à la vente de l’île à la France par le sultan Andriantsoly en 1841. Depuis cette date, les habitants ont été sous protection de la France, notamment vis-à-vis des Comores voisines. Cet attachement est viscéral de par cette protection paternelle exercée par la colonisation et l’administration françaises sur place. D’autre part, la France, elle, est intéressée par la position géographique de cette collectivité, qui cumule les fonctions de département et de région depuis 2011. Avec Mayotte, la France et l’Europe sont aux premières loges du canal du Mozambique, une importante route maritime et commerciale. Grâce à cette position et aux îles Éparses, situées dans le canal du Mozambique, la France détient la moitié des eaux du canal, dont les enjeux, ces dix dernières années, sont rythmés par le calendrier de Total. L’entreprise a investi 20 milliards de dollars dans un projet d’extraction de gaz liquéfié.
Le canal du Mozambique est une importante route maritime et commerciale.
La France n’aurait donc que des intérêts économiques à Mayotte ?
Non. Mayotte est l’unique territoire de l’Union européenne à majorité musulmane. C’est aussi l’unique territoire européen où 85 % de la population parle une langue africaine : le shimaoré. C’est un dialecte du kiswahili utilisé dans toute l’Afrique de l’Est et l’une des langues officielles de l’Union africaine. C’est une force pour la diplomatie française, qui n’est pas encore saisie par la France. À Mayotte, les autorités parlent principalement de lutte contre l’immigration. Paris renforce l’enclavement du département. Ce qui est dommage, car sa localisation est une chance pour notre pays, mais peut aussi devenir son pire cauchemar.
Que voulez-vous dire par cauchemar ?
Il se traduit d’abord par des drames humains, avec les naufrages de kwassa-kwassas [les bateaux de pêcheurs qui amènent illégalement les personnes migrantes depuis les Comores voisines – NDLR]. L’autre risque, c’est le possible durcissement des pays africains sur les contentieux territoriaux. On en voit les prémices avec la position malgache qui se tend sur les îles Éparses, ou encore l’Union africaine qui considère Mayotte comme un territoire colonisé. Tout comme l’ONU, d’ailleurs, qui condamne systématiquement la France au sujet de sa présence à Mayotte.
Il n’y a pour l’instant aucune vision développée par Paris dans la zone, si ce n’est militaire et gazière. Et puis la question migratoire qui revient sans cesse. On est dans une situation hors norme sur place avec un mal-développement et une non-prise en compte de cette immigration qui fausse toutes les politiques publiques. En 2050, les Comores auront plus de 1,6 million d’habitants. Pour résoudre les problèmes, Mayotte et Paris sont donc condamnés à trouver une solution au développement des Comores, l’un des pays les plus pauvres de la planète.