Nucléaire : un risque impensable et impensé
Emmanuel Macron veut pourtant relancer la filière française.
dans l’hebdo N° 1687 Acheter ce numéro
Le risque nucléaire, s’il est minoré par l’actualité immédiate, en particulier celle liée à la pandémie, n’en reste pas moins réel. La probabilité d’un accident n’est pas nulle, en particulier en France, qui compte 58 réacteurs. Elle tend à s’accroître avec la multiplication d’événements climatiques extrêmes : tempêtes, sécheresses, inondations. Les conséquences d’un tel accident seraient si catastrophiques qu’elles demeurent difficiles à concevoir. Mais les précédents de Tchernobyl et de Fukushima nous instruisent en la matière.
En plus des décès immédiats et de la morbidité à long terme, des territoires entiers deviendraient inhabitables et impropres à toute activité, particulièrement agricole, et ce, pendant des décennies. A minima. Si un accident de l’ampleur de Tchernobyl devait se produire en France, ce serait presque la moitié du territoire métropolitain qui serait contaminée. Pour combien de temps ? Cela dépendrait des types d’éléments radioactifs concernés. Sous le sarcophage de Tchernobyl, il reste 100 kilogrammes de plutonium : un microgramme suffit à tuer un être humain. Et il conserve sa nocivité pendant… 25 000 ans.
Emmanuel Macron, décidant seul d’un choix aussi crucial pour l’avenir du pays, veut pourtant relancer la filière atomique française en promettant de construire six nouveaux EPR (pour Evolutionary Power Reactor, la troisième génération de réacteurs), prétendument plus sûrs. Il témoigne là d’une hubris prométhéenne. La machinerie d’un réacteur est gigantesque et complexe, l’énergie dans le cœur du réacteur phénoménale. Comment penser pouvoir contrôler de telles installations ? La saga des EPR le montre bien. Le chantier de celui de Flamanville a plus de dix ans de retard et son coût est passé de 3,3 à 19,1 milliards d’euros comme l’estimait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2019. Les malfaçons se sont accumulées, quelquefois sciemment cachées aux autorités de sûreté nucléaire, comme ce fut le cas au mitan des années 2010 avec la cuve de la centrale. Pour l’EPR finlandais, c’est douze ans de retard et un coût multiplié par quatre. Les deux seuls EPR fonctionnant déjà sont ceux de Taishan, en Chine. Mis en service en 2018, ils affichent un surcoût de 60 %. Durant l’été 2021, l’un des deux réacteurs a dû être arrêté en raison de fuites de gaz radioactifs. Selon les éléments actuellement disponibles, il s’agit d’un défaut de conception de la cuve enfermant le cœur (1). Mais « tout est sous contrôle ».
Prévoyant la possibilité d’une catastrophe, et sous l’influence du lobby français, la Commission internationale de protection radiologique a cyniquement proposé de relever les seuils de radiation admissibles. Cette dose « acceptable » était auparavant de 1 millisivert (mSv) par an ; elle est passée à 20 mSv en 2016. Ce tour de passe-passe permettra de ne pas avoir à évacuer autant de personnes en cas d’accident ; cela coûtera moins cher. Tant pis pour la protection des habitants, qui pourront rester vivre sur des terres contaminées. Cela sans parler des problèmes insolubles liés aux déchets et au démantèlement de centrales vieillissantes. Le nucléaire, une énergie « verte et peu chère » ?
Par Hélène Tordjman Maîtresse de conférences à Sorbonne-Paris-Nord.
(1) Voir www.criirad.org.
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