Omicron : Le pari de trop
Alors que le tsunami omicron vient s’ajouter à la vague delta et que de nombreuses personnes sont encore non protégées, le gouvernement choisit de laisser circuler le virus. Un jeu dangereux.
E mmerder » les non-vaccinés, voilà donc à quoi se résume désormais la gestion sanitaire de la crise du covid-19 par Emmanuel Macron. Le virus, lui, a le champ libre. Dans son interview aux lecteurs du Parisien, parue le 4 janvier, le président de la République le dit : « La ligne est simple : c’est vaccination, vaccination, vaccination, et passe vaccinal. » Sous-entendu, « c’est cela et rien d’autre ».
Le Premier ministre, Jean Castex, et le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’avaient répété tout au long du mois de décembre : Il n’y aura « ni confinement, ni couvre-feu, ni fermeture anticipée des magasins, ni restriction des déplacements ». Certes, ces mesures ont souvent été contestées. Mais, en réduisant les contacts, elles avaient prouvé leur efficacité face aux précédentes vagues. Et les moyens mis sur la table pour accompagner les professions touchées (le fameux « quoi qu’il en coûte ») donnaient des capacités concrètes pour se protéger du virus et de la crise.
Rien de tel aujourd’hui. Au contraire, les règles sanitaires n’ont cessé d’être assouplies à l’approche de la rentrée du 3 janvier. Parmi les décisions du « conseil de défense » du 28 décembre, une resucée des mesures les moins utiles contre un virus aérosol : port du masque à l’extérieur et jauges à 2 000 personnes en intérieur. Pour le reste, ce sont surtout des allègements. Exit l’isolement systématique des cas contacts si leur schéma vaccinal est complet. Même la durée d’isolement des personnes testées positives au covid-19 est réduite. Dans les entreprises, le télétravail est officiellement « obligatoire », mais reste à la convenance de l’employeur. Pire, les « travailleurs essentiels » testés positifs peuvent être contraints de continuer à occuper leur poste si les symptômes sont « modérés ». Cela concerne notamment les soignants, alors même que le covid est devenu la première infection nosocomiale. Le Medef craignait une désorganisation de la société si trop de personnes devaient attraper le virus en même temps, le voilà rassuré.
Les règles sanitaires n’ont cessé d’être assouplies.
À l’école, la politique sanitaire est à l’avenant. De nombreux experts avaient réclamé au mois de décembre, alors que la vague delta était à son apogée et que le tsunami omicron pointait, que la rentrée scolaire soit retardée de quinze jours. Le temps d’espérer passer le pic et d’accélérer la vaccination des 5-11 ans, qui n’a été ouverte que le 22 décembre et dont les créneaux manquent encore. Le temps d’envisager enfin un protocole digne de ce nom, incluant des demi-jauges et de vraies mesures d’assainissement de l’air. Comme à chaque fois depuis deux ans, ils se sont heurtés au mur Jean-Michel Blanquer. Le ministre de l’Éducation nationale a même jugé bon, pendant les vacances, de supprimer les tests salivaires itératifs. Il en promettait pourtant 600 000 par semaine en mai dernier. Un nombre déjà insuffisant et qui n’a jamais été atteint.
« Pensée magique »
Résultat : un protocole indigent et incompréhensible, mais encore « allégé » la veille de la rentrée scolaire, et qui n’aura finalement tenu que trois jours, avec une énième révision le jeudi 6 janvier, puis encore le lundi 10. Et pour cause, avec des centaines de milliers de nouvelles contaminations par jour, impossible de tester (trois fois !) tous les cas contacts. Vite, révisons donc les notions de « test » et de « cas contact » ! En attendant, ce sont autant de journées d’école perdues pour les enfants, de va-et-vient à la pharmacie pour les parents, de contrôles des tests à l’entrée pour les directions d’établissement. Face au risque d’« absentéisme » des profs infectés (7 % des effectifs la première semaine de janvier), Jean-Michel -Blanquer a également rappelé des personnels retraités de l’Éducation nationale. Des « forces vives », selon les mots d’une rectrice citée par France Bleu. Les parlementaires de la majorité ont quant à eux repoussé, le 3 janvier, un amendement des députés La France insoumise (LFI) visant à améliorer la filtration de l’air dans les écoles.
Profs et élèves malades, parents sur les nerfs, administration en perte de contrôle : voilà pour le dogme de l’« école ouverte » selon Jean-Michel Blanquer. Mais c’est sur le plan sanitaire que la situation est la plus grave. Car en l’absence de toute mesure de freinage et avec des variants très contagieux (omicron serait au même niveau que la rougeole), la période des fêtes a diffusé ce virus sur l’ensemble du territoire national, avant que la rentrée des classes n’arrose l’incendie d’essence. Ce nouveau « pari » d’Emmanuel Macron, qui s’ajoute à ceux déjà pris depuis un an, lorsqu’il a cessé de tenir compte des avis du conseil scientifique qu’il avait lui-même institué, est désormais simple à appréhender : omicron est plus transmissible mais serait moins sévère, la population largement vaccinée et les vaccins encore efficaces après trois doses contre les formes graves. On pourrait donc désormais traiter Sars-Cov-2 comme un vulgaire virus « endémique ». C’est le grand retour, sous une autre forme, de l’« immunité collective ».
Parmi les 15 millions de non-vaccinés, des réfractaires mais aussi des personnes éloignées des soins.
Bien sûr, le scénario d’un virus endémique est l’horizon visé par chacun, et personne n’est à l’abri d’une bonne surprise. Mais gare aux promesses intenables, comme celle d’Olivier Véran, le 2 janvier dans Le Journal du dimanche : « La cinquième vague est peut-être la dernière. » Une affirmation qui relève de la « pensée magique », lui a répondu dans l’Express l’épidémiologiste Dominique Costagliola. Surtout, l’OMS n’a cessé de le marteler : « Aucun pays ne s’en sortira à coups de doses de rappel », rappelant la nécessité pour un temps encore des « mesures non pharmaceutiques » (masques, distanciation et gestes barrières). Sans compter le fait que la version française du « tout vaccinal » a de sérieux trous dans la raquette. Les données récentes du Royaume-Uni semblent indiquer qu’omicron exerce une moindre pression sur les réanimations, mais que le risque d’hospitalisation conventionnelle est à peu près le même que pour delta pour les personnes non vaccinées.
Or, des non-vaccinés, il y en aurait encore près de 15 millions en France. Et pas seulement des réfractaires idéologiques. Beaucoup d’hésitants, effrayés par des messages contradictoires et une désinformation massive. Sans oublier les centaines de milliers de personnes n’ayant qu’un faible accès aux soins. Et presque tous les enfants de moins de 12 ans, qui payent un plus lourd tribut à omicron que lors des phases précédentes, comme le montrent les données pédiatriques aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Afrique du Sud. Il faut y ajouter les centaines de milliers d’immunodéprimés, greffés ou malades du cancer, et les millions de personnes en situation d’échec vaccinal, qui n’ont produit aucun anticorps après deux, voire trois doses (minoritaires mais deux fois plus nombreux face à omicron que face à delta).
Comme depuis le début de cette pandémie centennale, le risque est encore davantage collectif qu’individuel. Des hôpitaux exsangues après deux années de crise s’apprêtent à affronter un afflux record dans un laps de temps beaucoup plus court que lors des vagues précédentes. Déjà les soignants alertent sur les mauvaises prises en charge des accidents vasculaires et cérébraux, les déprogrammations en cascade et le tri des patients en réanimation. Les pharmacies, laboratoires d’analyses médicales et cabinets de médecine de ville sont partout en surchauffe. Un effondrement du système sanitaire, bien qu’évité de justesse jusqu’à présent, constitue toujours un risque majeur, même avec un variant moins « sévère » et même avec des vaccins sûrs et efficaces. Et comme depuis le début de cette pandémie, tandis que l’on dénombre les morts, les autres séquelles potentielles découvertes chaque jour un peu plus demeurent sous-estimées : problèmes vasculaires, cardiaques, pulmonaires, neurologiques et autres cas de covid long.
Quelles seront les conséquences à long terme du choix politique de laisser filer ce virus encore si mal connu ? Nul ne le sait. Mais ce choix ressemble à une négation du principe de précaution et à une abdication de l’idée même de « santé publique » face à un virus qui, c’est sûr, nous « emmerde » tous.