Poutine interdit Memorial (et réécrit l’histoire)
L’association créée en 1989 sous l’égide du prix Nobel de la paix Andreï Sakharov est accusée de créer « une image mensongère de l’URSS comme État terroriste ».
dans l’hebdo N° 1687 Acheter ce numéro
En mai 2019, l’historienne d’origine russe Galia Ackerman publia Le Régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine (éd. Premier Parallèle, cf. son entretien in Politis n° 1577). Ce remarquable ouvrage exposait la stratégie propagandiste de l’actuel pouvoir autoritaire du Kremlin louant la « grandeur » du passé soviétique du pays. La dissolution de l’ONG Memorial International, principale gardienne de la mémoire des victimes des répressions staliniennes, mais aussi défenseure des droits humains jusqu’à nos jours, s’inscrit délibérément dans cette ligne. Les accusations du pouvoir à l’encontre de l’ONG, parfois farfelues (comme celle de « pédopornographie » à l’encontre de l’historien Iouri Dmitriev, l’un de ses responsables, condamné à quinze ans de détention dans une colonie pénitentiaire à régime sévère), ont pour d’autres le mérite de la franchise.
Dans son réquisitoire précédant sa décision du 27 décembre, le procureur de la Cour suprême de Russie n’a pas masqué son parti pris : « Il est évident que Memorial, en spéculant sur le thème de répressions au XXe siècle, crée une image mensongère de l’URSS comme État terroriste. » Emplie de l’élan de la glasnost gorbatchévienne, l’association Memorial fut créée par des dissidents de l’ère soviétique en 1989 sous l’égide du physicien et prix Nobel de la paix Andreï Sakharov. Pionnière, référence de par son travail mémoriel de découvertes de charniers et d’anciens camps de ce que Soljenitsyne dénomma « l’archipel du goulag », l’ONG se savait toutefois en sursis, surtout depuis l’adoption de la loi de 2012 visant « les organisations faisant office d’agent de l’étranger ». Mais outre ses archives, foisonnantes, documentant les répressions de masse, Memorial n’a cessé de militer pour la défense des droits humains en Russie. Ce qui lui valut une accusation d’« apologie du terrorisme » du fait de son soutien à de nombreux prisonniers politiques du Caucase.
À l’annonce de sa dissolution, Galia Ackerman a déclaré, sur France Inter, « espérer vivement que Memorial ait pu transférer ses précieuses archives à l’étranger, pour sauver plus de trente ans d’un travail extrêmement précieux ».
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