Reniement vaccinal

Le projet de loi qui transforme le passe sanitaire en passe vaccinal renie les engagements d’Emmanuel Macron. Il inquiète aussi parlementaires et juristes, jusqu’à la Défenseure des droits.

Hugo Boursier  • 12 janvier 2022 abonnés
Reniement vaccinal
© NICOLAS TUCAT / POOL / AFP

Il disait tenir « beaucoup à l’unité de la Nation », assurait que le « passe ne sera[it] jamais un droit d’accès qui différencie les Français » et ne « saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de vie de tous les jours comme les restaurants, les théâtres et cinémas ». C’était le 30 avril 2021 dans Le Parisien. Huit mois plus tard, dans les colonnes de ce même journal, Emmanuel Macron a « très envie de les emmerder », les non-vaccinés, « jusqu’au bout » car, faute d’injection, chacun d’entre eux deviendrait un « irresponsable », voire ne serait « plus un citoyen » tout court.

Des déclarations fracassantes qui, en plus de redonner de la vigueur aux manifestations anti-passe samedi 8 janvier, ont choqué les députés, déterminés à chahuter l’examen expressdu projet de loi à l’Assemblée pour dénoncer « l’immixtion du président de la République dans le débat parlementaire », comme le dénonce l’élu communiste Pierre Dharréville. Ils n’ont pas empêché l’adoption du texte en première lecture à 214 voix pour et 93 voix contre, malgré une majorité mal à l’aise devant les propos du Président. Les sénateurs étant bien décidés à prendre leur temps pour discuter du texte cette semaine, le passe sanitaire ne pourra pas être mis en œuvre à la date souhaitée, voire exigée, par l’exécutif du 15 janvier.

Cette sortie présidentielle en dit long sur la manière dont le chef de l’État a décidé de faire peser la responsabilité sur les individus eux-mêmes et non sur l’action politique qu’il mène depuis le début de la crise sanitaire. Il vantait pourtant les mérites de « la conviction et la transparence » plus que de « l’obligation » vaccinale, le 4 décembre 2020, « la raison et la science » comme guides. Encore cette « conviction », le 27 mai dernier, voire les bénéfices de « laisser la liberté » aux gens pour mieux gagner leur confiance, début juin.

Une fois la pédagogie enterrée, c’est donc l’insulte qui tient lieu de « stratégie » au chef de l’État. Au grand regret de l’épidémiologiste William Dab, directeur général de la Santé entre 2003 et 2005 : l’invective « lui permet de masquer que, depuis deux ans, la santé publique de terrain n’a pas été renforcée, les obstacles ne sont pas anticipés (comme la saturation actuelle des pharmacies pour les tests), les protocoles dans les écoles sont inapplicables, l’amélioration de la ventilation des locaux n’est pas promue comme elle le devrait ».

Une fois la pédagogie enterrée, c’est l’insulte qui tient lieu de « stratégie ».

Malgré la temporisation voulue par les sénateurs, la majorité (LR) devrait voter pour le passe vaccinal, avec quelques ajustements. Parmi eux, un encadrement plus précis du contrôle d’identité par le personnel des établissements recevant du public s’il y a des « des raisons sérieuses de penser » à une fraude, et la possibilité de lever le passe vaccinal en cas d’amélioration du contexte sanitaire. « Le recours à de tels dispositifs réducteurs de libertés ne peut se faire sans contrôle et sans limitation dans le temps », a tenté de rassurer Gérard Larcher à ses collègues encore hésitants après les divisions qui ont marqué le vote du parti Les Républicains à l’Assemblée.

L’exécutif ne le cache pas : en conditionnant chaque sphère de la vie sociale à la vaccination, il veut mettre une pression supplémentaire sur les non-vaccinés. Quitte à empiéter sur certains droits. « C’est une forme déguisée d’obligation vaccinale », affirme même Olivier Véran dès le 18 décembre dans une interview pour le média en ligne Brut. Pour la juriste Muriel Fabre-Magnan, « s’il s’agit d’une obligation et non plus d’une simple possibilité offerte aux citoyens, le gouvernement doit faire la démonstration que cette atteinte supplémentaire à la liberté individuelle et à l’intégrité corporelle est nécessaire pour l’objectif qu’il s’est fixé – faire disparaître le virus ou au moins en limiter la circulation ». Deux horizons que le vaccin n’atteint pas face au variant omicron, bien qu’il en limite les formes graves.

C’est pour cette raison que l’avis de la Défenseure des droits du 4 janvier est particulièrement sévère. Claire Hédon indique que « ce projet de loi vient confirmer les craintes précédemment exprimées en accentuant encore un peu plus le rétrécissement progressif des libertés ». Selon elle, le texte « opère, pour la gestion de la crise, des transformations profondes pour l’exercice de droits et libertés qui sont au fondement de notre pacte social et républicain, et un glissement insidieux vers la pérennisation d’un dispositif d’exception ».

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