Aurélien Chapeau, « homme blanc ordinaire »
Fasciné par l’auteur de l’attentat raciste de Christchurch, ce trentenaire vient d’être condamné à neuf ans de prison pour terrorisme en lien avec l’extrême droite.
dans l’hebdo N° 1691 Acheter ce numéro
Tous les anciens militaires du 2e régiment de hussards gardent un bon souvenir de lui. Aurélien Chapeau ? Un jeune homme « agréable », « toujours de bonne humeur », « serviable », « respectueux », « qui n’hésitait pas à venir en aide aux plus jeunes ». Le même qui, vendredi 28 janvier, a été condamné à neuf ans de prison pour entreprise individuelle terroriste en lien avec l’extrême droite. « À l’armée, il y a différentes religions et il s’entendait avec tout le monde, même ceux qui étaient arabes, juifs, chinois, etc., s’étonne une ancienne collègue. Il avait un très bon ami algérien qu’il appelait son “frère”. » Comment ce Limougeaud de 38 ans, en apparence intègre et équilibré, a-t-il pu basculer ainsi ?
Fantasme
Né d’une mère aide-soignante et d’un père responsable au planning et à l’ordonnancement, le jeune Chapeau grandit sans difficulté dans la capitale limousine. Sa scolarité est linéaire mais il n’arrive pas à se faire des amis. Réservé et solitaire, il décroche un CAP cuisine avant de s’engager en 2003 dans l’armée de Terre. Il est affecté au 2e régiment de hussards à Sourdun, en Seine-et-Marne (77). « J’ai signé pour le drapeau, par passion de l’armée que mon père m’a transmise quand j’étais jeune », explique-t-il devant le tribunal. Héritier d’un paternel dont les valeurs sont ancrées très à droite, le jeune Aurélien aime l’ordre et la discipline. Il retrouve dans l’armée une famille qui lui ressemble. Il s’y plaît et rêve de grandeur. Mais il n’est pas combattant. Il occupe la fonction de cuisinier. Un ancien camarade se souvient bien qu’il « aurait préféré être dans un escadron de combat ». À la barre, il l’admet : « J’ai été engagé en tant que cuisinier mais je voulais être autre chose. »
Or celui décrit comme un « suiveur » n’a jamais fait part de ses velléités à ses supérieurs. Pourtant, il fantasme au point de cultiver le doute. Lors d’une première garde à vue en 2018, il dit aux policiers avoir « démarré en régiment de combat ». En réalité, le seul fait d’armes d’Aurélien Chapeau fut d’effectuer, comme tout militaire, une mission Vigipirate à Lille. Le temps de quelques semaines, il fut chargé de défendre les citoyens en cas d’attaque terroriste. Ironie de l’histoire.
Dans l’armée, il rêve de combats et de grandeur, mais occupe la fonction de cuisinier.
Jamais il n’atteindra son objectif. En cause : une rupture des ligaments croisés survenue en 2005, au cours d’une formation pour le grade de brigadier-chef. Une bonne note à une telle formation aurait pu lui permettre un passage facilité en effectif combattant. Mais c’est l’échec. Aurélien est placé en arrêt maladie. Un congé de plusieurs mois « non imputable » à l’armée, d’après son dossier militaire. Il n’a visiblement pas écrit de rapport à sa hiérarchie, pourtant nécessaire à la prise en charge de sa blessure. Aurélien est opéré dans un hôpital civil.
Déclassement
C’est à cette période qu’il se laisse séduire par les sirènes extrémistes. La Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) date de 2006 les premières traces problématiques. Des mots-clés balancés sur les moteurs de recherche : « juifs intouchables » ou encore « IED », abréviation militaire pour engin explosif improvisé. Le cycle infernal se met doucement en marche à mesure que sa colère enfle. Quelque temps après sa reprise, Hervé Morin, ministre de la Défense, annonce le déménagement du 2e régiment des hussards à Haguenau, en Alsace. Aurélien est face à un choix cornélien : sa compagne, qui vit dans le Limousin, ou l’armée, qu’il apprécie tant. Les tréfonds de l’Est français rendent difficilement accessibles les terres limousines. Il quitte l’armée en 2010 et se reconvertit en agent de sécurité chez Mondial protection. À 27 ans, il est affecté dans la zone industrielle de Limoges, au Bricorama, à la sortie de la ville : un hangar aménagé juché sur une colline de parking. Aurélien a beau s’accrocher à un semblant d’uniforme, le sentiment de déclassement lui colle à la peau. Il cherche l’adrénaline. Veut prouver qu’il est utile. Que lui aussi peut combattre « le mal ». Il veut travailler la nuit, plus prometteuse : « J’aurais bien aimé tomber sur des braqueurs », dit-il à l’expert psychiatre. Mais il n’arrive même pas à enrayer les petits vols à l’étalage, réguliers au magasin. Sa frustration grandit. Sa colère aussi. Il se renferme. Devient jaloux. Soupçonne sa compagne d’adultère. Développe une haine contre les juifs, le gouvernement, ceux qui ne travaillent pas, les autres… Sa compagne, jeune professeure des écoles, pourtant adepte des forums d’Égalité et réconciliation et des idées de Francis Cousin (1), déclare aux policiers avoir quitté Aurélien en 2013 à cause de son antisémitisme. Un échec de plus. L’armée aurait été plus loyale.
« Maladif »
Plus que jamais isolé, l’ancien militaire s’enferre dans son idéologie mortifère. Il s’abreuve d’écrits, de vidéos et d’images de propagande appelant à l’action armée. Ici, une photo de lui torse nu avec un tatouage « SS ». Là, son drapeau français orné des inscriptions : « mort aux juifs et aux francs-maçons ». Puis viennent les photos d’armes, les recherches explicites : « fabriquer bombe cocotte-minute », « empoisonner nappe phréatique ». Il consulte frénétiquement tous les sites qui peuvent abreuver sa haine : la Dissidence française ou les Jeunesses nationalistes. Il cherche qui sont les hommes et les femmes politiques de confession juive. « Ça devenait maladif », reconnaît-il devant le tribunal. Incapable d’imposer dans sa vie l’ordre auquel il aspire, « il trouve sur Internet un autre venu lui proposer un ordre national », décrit la psychologue dans son expertise.
Au travail, Aurélien ne cache pas ses idées. Il dessine même des croix gammées dans les vestiaires. Pour autant, il reste courtois avec ses collègues, même noirs ou arabes. D’ailleurs, il discute souvent avec Joseph, un client sexagénaire, issu de la communauté des gens du voyage. Aurélien cherche des armes et Joseph en vend de temps en temps. Il lui propose un revolver 357 Magnum et un semi-automatique 765. Aurélien les achète 4 500 euros, soit environ trois fois son salaire. À peine les a-t-il récupérés qu’il les met en scène avec des drapeaux de Génération identitaire ou orné d’une croix celtique, symbole néonazi.
Sur Internet, il développe une obsession pour les juifs et les francs-maçons.
Exalté par ses achats, Aurélien se lâche sur les réseaux sociaux. « Bientôt sous mes balles, […] salles traîtres blancs » envoie-t-il le 18 juin 2018 à SOS Racisme Limousin. Convoqué par la police le 26 novembre, il prétend avoir « pété un câble » après un reportage sur l’agression de « Blancs ». À défaut de le calmer, cette première semonce policière alimente sa haine. Et la crise des gilets jaunes crée un formidable espace d’expression de cette colère funeste. « Je vais tuer la République et je l’assume », clame-t-il sur les réseaux sociaux seulement huit jours après sa convocation, prêt à monter à la capitale en vue de l’acte IV. Mais la préfecture de police de Paris le signale. Aurélien est interpellé et placé en garde à vue. Chez lui, les policiers trouvent les deux armes et leurs 230 munitions. Il écope de 5 mois de prison avec sursis pour détention illégale. Aux prémices de l’année 2018, il se confie à sa mère par SMS : « Si j’étais étranger je n’aurai pas de frais d’avocat à payer ! Gloire à ce que fut l’Allemagne nazie ! Je ne lâcherai rien. »
Cibles
Un autre évènement suscite sa fascination. Le 15 mars 2019, Brenton Tarrant tue 51 musulmans à Christchurch, perpétuant le massacre le plus meurtrier en temps de paix qu’ait connue la Nouvelle-Zélande depuis la fin du XIXe siècle.
L’identification est immédiate et absolue. Aurélien s’abreuve des vidéos que le terroriste australien a diffusées de ses actes. « Je n’ai pas chialé en les regardant », admet-il devant le tribunal. Le Français a trouvé son mentor : un tueur de masse qui se définit dans son manifeste comme « un homme blanc ordinaire ». Juste avant son passage à l’acte, il avait diffusé des photos d’un fusil et d’un gilet tactique orné d’un soleil noir nazi. Quinze jours plus tard, Aurélien reproduit la mise en scène avec un fusil-mitrailleur Sten et deux chargeurs de 33 balles, fraîchement acquis 3 200 euros à Joseph, son revendeur attitré. Reprenant la propagande de Brenton Tarrant et de Renaud Camus, le trentenaire écrit à sa mère : « c un génocide une extermination que je vois tous les jours ici j’en peu plus ça devient compliquer [sic]. » L’obsession le consume autant qu’elle l’anime. « Une fois qu’on est dedans, c’est difficile d’en sortir », explique-t-il à la barre. Avec sa famille, les soirs de Noël deviennent des épreuves de force. Il supporte mal l’homosexualité de l’un de ses neveux et déclenche une dispute. Quelques jours après, il relaie deux vidéos du groupe néonazi américain Atomwaffen Division. Le message est clair : « Rejoins-nous ou meurs avec les autres. »
Puis viennent les cibles. Début 2020, sur Minds, réseau social populaire chez les néonazis, il diffuse des adresses de lieux de culte juif à Limoges, Strasbourg, Clermont-Ferrand, en région parisienne. Celle d’une école à Montrouge. « J’ai choisi au hasard. Mais j’ai effacé dans les 24 heures : je trouvais ça malsain. » Dans ses affaires, les policiers retrouvent des fichiers contenant les noms et adresses de militants antifascistes. Le 26 mai 2020, Aurélien Chapeau est interpellé par la DGSI. Jugé du 26 au 28 janvier dernier, cet « homme blanc ordinaire » est condamné à une peine de neuf ans de prison ferme assortie d’une mesure de sûreté des deux tiers.
(1) Philosophe se réclamant du communisme mais développant des théories d’extrême droite.