Crédit Agricole : la « banque verte » et le noir du charbon
Alors que le géant bancaire était l’un des premiers à s’engager en faveur de l’environnement, une étude portée par Reclaim Finance et 27 autres ONG révèle qu’il continue de financer des mines et des centrales à charbon.
Les promesses. Faciles à faire, plus difficiles à respecter. En juin 2019, le Crédit Agricole lançait sa « politique charbon », dans laquelle il s’engageait à « ne plus travailler avec les entreprises développant ou projetant de développer de nouvelles capacités charbon thermique sur l’ensemble de la chaîne de valeur (producteurs, extracteurs, centrales, infrastructures de transport) ». Une étude menée par Reclaim Finance et 27 ONG révèle que ces engagements ne sont pas tenus.
Depuis 2020, le Crédit Agricole prétend mettre en place un suivi rapproché des entreprises et les placer dans un « portefeuille sous vigilance » en cas d’absence d’actions concrètes en faveur de l’arrêt de l’exploitation du charbon. Il indique aussi demander explicitement à ses clients, depuis 2021, d’adopter un plan de sortie du charbon « comprenant l’engagement à ne pas développer de nouveaux projets ».
Investissements dans l’extraction du charbon
Mais en 2021, la banque continuait de financer des géants miniers. Plus d’un milliard d’euros d’obligations et 4,5 milliards de dollars de prêt pour Glencore, neuvième développeur de mines de charbon au monde, qui prévoit une expansion annuelle de 45 mégatonnes de ce combustible polluant dans neuf mines en Australie et en Afrique du Sud. Plus de 500 millions de dollars de prêt pour Marubeni, maison de négoce japonaise impliquée dans la construction de trois nouvelles centrales à charbon au Vietnam, en Indonésie et au Japon. Idem pour son partenaire Itochu, qui investit dans une centrale de 2000 mégawatts en Indonésie. Ou encore 200 millions de dollars pour En+/Rusal, producteur d’aluminium russe qui prévoit une expansion annuelle de 35 mégatonnes dans cinq mines de charbon en Russie ainsi que la création de nouvelles centrales.
La banque considère qu’elle a respecté ses engagements.
« En guise de justification, le Crédit Agricole joue sur la date d’application de sa politique, prétextant qu’“à partir de 2021”, ce n’est pas “à partir de janvier 2021”, explique Yann Louvel, analyste des politiques adoptées par les acteurs financiers à Reclaim Finance. La banque considère donc qu’elle a respecté ses engagements. » Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
En guise de sanction, le Crédit Agricole perd l’étoile qui récompensait sa politique climatique « robuste » et voit sa note baisser dans le Coal Policy Tool, qui note les politiques adoptées par les acteurs financiers. « C’est un outil assez scruté, souligne Yann Louvel. Mais plus encore, cette sanction a une grande portée symbolique : alors que le Crédit Agricole se plaçait comme un pionnier, l’une des rares banques à mettre en place une politique charbon intéressante, elle apparaît aujourd’hui comme un modèle à ne pas suivre. »
L’autorégulation, une fable
Si Reclaim Finance pointe aujourd’hui les violations des mesures annoncées par la « banque verte », l’ONG prévoit également d’étudier l’application des politiques d’autres gros acteurs français et internationaux. « Nous avons commencé par le Crédit Agricole parce qu’il était le premier à s’être lancé : nous avions donc plus de recul pour évaluer les mesures mises en place par la banque », précise Yann Louvel.
L’Etat doit intervenir et sanctionner les banques qui ne respectent pas leurs engagements.
Pour l’ONG, ces manquements du géant bancaire français révèlent l’inefficacité de la politique d’autorégulation mise en place jusqu’à présent : l’État doit contrôler et sanctionner les banques qui ne respectent pas leurs engagements. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, prétendait déjà s’emparer du sujet en 2018 : « Je réunirai […] dans les prochaines semaines les banques, les assureurs, les gestionnaires d’actifs pour qu’ils prennent de nouveaux engagements [et] qu’ils arrêtent définitivement de financer les activités les plus nocives pour le réchauffement climatique, en particulier le charbon […]. Les engagements doivent être précis, les engagements doivent être contrôlés et si jamais ces engagements, sur une base volontaire, définis ensemble, ne sont pas respectés, ils seront rendus contraignants ». Pourtant, aucune mesure n’a été prise jusqu’à présent.
« L’État doit intervenir, estime Yann Louvel. D’une part en interdisant le financement de certaines activités, en particulier celles qui visent l’extension de la production de charbon, et d’autre part en vérifiant l’application des politiques et en sanctionnant les banques qui ne respectent pas leurs engagements. » Alors que l’épargne des Français reste élevée à la suite des confinements successifs – 21,4 % des revenus disponibles des ménages ont été épargnés au deuxième trimestre 2021 selon l’Insee, contre 15 % en 2019 – Reclaim Finance milite pour une plus grande transparence dans la manière dont cet argent est utilisé par les banques. « Nous proposons de mettre en place une sorte de Nutri-score de l’impact climatique des produits commercialisés, pour que les personnes sensibilisées à ces sujets puissent orienter leur épargne vers des activités respectueuses de l’environnement. Aujourd’hui, il est encore très compliqué d’accéder à l’information. »
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