Elza Soares, invincible diva

Elle a fini par lâcher prise le 20 janvier. Elza Soares aurait pu se résigner un nombre incalculable de fois en quatre-vingt-onze années de bataille contre les infortunes. Celle que la BBC anglaise avait consacrée « chanteuse brésilienne du millénaire » en 1999 a refusé, par une ténacité hors norme, que l’adversité sociale « assassine Mozart » en elle, à l’égal d’immenses divas noires américaines.

Fille d’une favela de la banlieue de Rio, Elza est mariée à 12 ans par un père trop pauvre pour nourrir sa famille. À 20 ans, elle est veuve, deux de ses enfants sont morts de dénutrition, un troisième va les suivre. Pour tenter de payer les soins, elle se présente, attifée comme elle peut, à un radio–crochet animé par le célèbre compositeur Ary Barroso. « Mais de quelle planète venez-vous ? » Elza, maigre comme un coucou : « De la planète “faim”. » Silence dans le studio. D’autant plus que la novice surplombe le concours. « Une étoile est née », salue Barroso. Son fils est sauvé.

Elza Soares, c’est une voix formidable de puissance et d’expressivité. « La viande la moins chère du marché est la viande noire ! » Ses inimitables dérapages dans le rauque pulsent la rage de vie et de révolte et marqueront toute sa carrière, semée jusqu’à la fin d’accidents dont elle se relève chaque fois. Elle touche au rock, au jazz, mais c’est la samba, rythme populaire né au sein de ce peuple brésilien noir et pauvre dont elle est issue, qui forme le creuset de sa culture. Elle se produira sur scène jusqu’à son dernier souffle, dans un fauteuil roulant, devenue une icône à la fois artistique et politique. Son testament jaillit de ses dernières œuvres, qui chantent sa tendresse pour les prostituées, dénoncent le racisme, le machisme, la violence envers les femmes. Dieu est une femme, clame son avant-dernier album. Le dernier ? Planète faim.