« Enquête sur un scandale d’État », de Thierry de Peretti : Caméra anti-corruption

Avec Enquête sur un scandale d’État, Thierry de Peretti renoue avec un genre de fiction politique à la Francesco Rosi.

Christophe Kantcheff  • 8 février 2022 abonné·es
« Enquête sur un scandale d’État », de Thierry de Peretti : Caméra anti-corruption
© les Films Velvet

Voici un film qui contredit l’idée reçue selon laquelle le cinéma français serait incapable de produire des œuvres qui, à l’instar du cinéma américain, iraient fouailler non rétrospectivement mais au présent dans le tissu malade de nos institutions démocratiques. Enquête sur un scandale d’État est une adaptation du livre L’Infiltré (Robert Laffont, 2018) du journaliste Emmanuel Fansten et d’un ancien infiltré du service des stupéfiants, Hubert Avoine.

Enquête sur un scandale d’État, Thierry de Peretti, 2 h 03.
Ce troisième long-métrage de Thierry de Peretti – dont les deux précédents, Les Apaches et Une vie violente, se déroulaient en Corse – met en lumière les pratiques douteuses d’un haut gradé de la police (Vincent Lindon) qui employait comme indicateur l’un des plus grands trafiquants de drogue opérant sur le territoire français. Hubert (Roshdy Zem, comme toujours excellent) en a été non seulement le témoin, mais aussi le jouet. C’est pour cette raison qu’il se met en relation avec un journaliste, Stéphane (Pio Marmaï), mais aussi parce qu’il a une certaine idée de la droiture.

Si Hubert dit vrai, l’affaire est considérable. Ce qui occupe le centre du film, dans un premier temps, c’est une histoire de confiance. L’ex-infiltré ne serait-il pas un mythomane ? Le journaliste écarte rapidement cette hypothèse – pourquoi Hubert risquerait-il gros en se mettant à parler publiquement ? –, même si elle réapparaît de temps à autre, au moins dans l’esprit du spectateur. Ensuite, l’histoire qui se développe est celle d’une obsession. Les deux hommes, absorbés par leur enquête, n’ont plus qu’une idée en tête : trouver de nouveaux éléments, des témoignages accréditant la thèse d’Hubert.

Le film lui-même est concentré sur la collaboration entre l’ex-infiltré et le journaliste, que l’on voit aussi avec sa cheffe de rubrique et au sein de la conférence de rédaction, ou encore sur le plaidoyer pro domo du policier face à la procureure de la République. Pas de séquences de vie privée qui divertiraient de l’action principale (ou à peine, pour Hubert, apprenant que le cancer dont il est atteint s’aggrave). Les personnages ne sont jamais vus qu’au travail, le film privilégiant là une rigueur, voire une ascèse, qui n’enlève rien à sa tension, bien au contraire.

Le format carré rehausse cette sobriété dans la mise en scène, tout comme le filmage, qui évite la caméra à l’épaule, ce nouveau conformisme, et les images trépidantes faisant « vrai », au profit de plans larges mettant en valeur les nombreuses scènes collectives.

Nous évoquions plus haut le cinéma états-unien, mais on songe encore davantage aux grands films politiques de Francesco Rosi (Salvatore Giuliano, Main basse sur la ville…), dont la progression est droite et implacable. En outre, comme Rosi, qui partait d’un fait divers pour dévoiler une corruption généralisée, Enquête sur un scandale d’État ne se limite pas à mettre au jour des méthodes policières plus que discutables. Même si le film aborde là une question cruciale : un État de droit, quelles que soient ses raisons, peut-il déroger à ses principes ? Hubert et Stéphane révèlent aussi des connexions entre les actuels trafics de drogue de grande envergure et d’anciennes officines semi-clandestines comme le Service d’action civique (le SAC) façon Pasqua ou des acteurs majeurs de la Françafrique. D’une époque à l’autre, des liens véreux sont tissés.

Pour quel résultat ? On ne dira rien des dernières scènes. Sinon que le cinéaste appuie là où cela fait le plus mal : la démocratie a encore du chemin à parcourir…

Cinéma
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