Feux au vert pour Stop Bolloré
Le nouveau collectif, dont Politis est membre fondateur, poursuit sa mobilisation et lance de nouvelles initiatives contre la concentration dans les médias et la droitisation du débat public.
dans l’hebdo N° 1694 Acheter ce numéro
Au sein du collectif Stop Bolloré, c’est l’effervescence. Depuis le mercredi 16 janvier, jour du lancement de sa campagne, il croule sous les mails d’organisations et de particuliers désireux de rejoindre l’appel contre la concentration dans les médias et pour l’indépendance journalistique. « Nous n’avons même pas encore fini de traiter les premiers mails, constate Arié Alimi, avocat membre de la Ligue des droits de l’Homme et qui compte parmi les fondateurs du collectif. Nous en avons encore 800 en attente. Nous avons été un peu dépassés par le succès de l’appel. » Avec près de 500 signatures déjà enregistrées et visibles sur le nouveau site Internet du collectif, 1 300 personnes et organisations ont donc rejoint le mouvement.
Stop Bolloré n’en est qu’à ses débuts et entend bien poursuivre la mobilisation. Il organisera un meeting, à la mi-mars, pour établir un suivi des initiatives déjà lancées – la saisine de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et la plainte au pénal (lire Politis n° 1693) – et annoncer d’autres procédures à venir. Parmi elles, une requête auprès de la Commission européenne sur l’acquisition de la maison d’édition Hachette, propriété du groupe Lagardère, par Vincent Bolloré. L’objectif : s’opposer à la transaction et empêcher que les mastodontes ne se positionnent sur le marché sans concertation avec les petites maisons d’édition et les libraires, directement concernés.
Stop Bolloré rassemble et vise large. Autant que le sont les empires des milliardaires. Alors que de nombreuses productions du septième art sont financées par Canal+, le collectif travaille actuellement avec des acteurs du monde du cinéma et du théâtre. Car tout est lié. « On ne fait pas une œuvre cinématographique ou théâtrale sans médias et sans information, sans livres qui attirent les réalisateurs, les scénaristes, les metteurs en scène, précise Arié Alimi. Contre l’hégémonie d’extrême droite, nous opposons aujourd’hui la solidarité culturelle. »
« Contre l’hégémonie d’extrême droite, nous opposons la solidarité culturelle. »
À moins de deux mois de l’élection présidentielle, le temps presse. Les idées d’extrême droite se diffusent, occupant de plus en plus l’antenne dans ces médias aux mains des industriels. Dans une étude parue le mercredi 16 février, Julia Cagé, Moritz Hengel, Nicolas Hervé et Camille Urvoy montrent ainsi que le temps de parole de l’extrême droite a augmenté de 15 points de pourcentage sur CNews à la suite du rachat de la chaîne par Vincent Bolloré, par rapport aux autres chaînes de télé et radios françaises. Une augmentation d’autant plus forte lorsque l’on regarde du côté des invités politiquement engagés, mais qui ne sont pas des professionnels de la politique : leur temps de parole a augmenté, tandis que celui des politiques a diminué.
Or les contenus médiatiques influent sur le vote des électeurs. Stefano DellaVigna et Ethan Kaplan ont été les premiers à le prouver, dans une étude portant sur l’influence de Fox News dans les décisions de vote. Entre octobre 1996 et novembre 2000, la chaîne conservatrice est introduite sur le câble dans 20 % des circonscriptions américaines. Dans ces villes, pendant cette période, le Parti républicain a gagné entre 0,4 et 0,7 point lors de l’élection présidentielle. Le taux de participation a diminué, tandis que la part de votes en faveur de ce parti lors des élections sénatoriales a augmenté. Au total, les chercheurs estiment que Fox News aurait convaincu entre 3 % et 28 % de ses téléspectateurs de voter pour les Républicains. Des résultats qui suggèrent avec force que les médias peuvent avoir un impact politique non négligeable.
En 2016, Reporters sans frontières dépeignait Vincent Bolloré comme un « exemple extrême de rouleau compresseur qui s’abat sur l’indépendance des médias et de l’information. […] [Il] a l’habitude de s’impliquer dans la gestion des organes de presse qu’il contrôle, d’interférer dans le choix et le développement des contenus de même que dans la sélection des journalistes de ses rédactions ». CNews est souvent décrite comme le « Fox News français », avec des animateurs et des invités s’inscrivant dans une ligne éditoriale anti-immigration. Alors qu’il est prouvé que Fox News a influé sur les comportements électoraux des citoyens américains, tout semble indiquer que sa « petite sœur » française aura un impact semblable en avril prochain au moment de l’élection présidentielle.