Histoire mondiale d’un phénix : la gauche
Shlomo Sand retrace les soubresauts de la famille politique luttant pour l’égalité et l’émancipation, aujourd’hui en crise.
dans l’hebdo N° 1691 Acheter ce numéro
En ces temps de régression – voire de « défaite culturelle » – de la gauche un peu partout en Europe et au-delà, il est des livres, comme celui-ci, de Shlomo Sand, qui font du bien. Car cette famille politique se caractérise par la mise en exergue d’une pensée fondée sur les revendications en faveur du commun et, d’abord, de l’égalité. Une « notion centrale si l’on veut déchiffrer l’apparition de la gauche dans l’histoire ».
L’historien commence par rappeler les prémices de ce qui prendra par la suite le nom de « gauche ». D’abord avec la Grande Rébellion durant la révolution de l’Angleterre du XVIIe siècle, quand les « levellers » (les « niveleurs ») contestent l’absolutisme royal, avant d’être eux-mêmes contestés sur leur gauche par les « diggers » (les « bêcheurs »), « qui, par bien des aspects, peuvent être tenus pour la première occurrence de la “gauche de la gauche” ». Puis vient évidemment, après les réflexions de Jean-Jacques Rousseau sur l’égalité, la grande rupture historique pour les droits des peuples et vers l’abolition des privilèges que sera la Révolution française, quand les opposants au droit de veto royal, en août 1789 se regroupent – par hasard – du côté gauche de l’hémicycle.
Revenant ensuite sur l’essor du mouvement ouvrier, du marxisme et de l’anarchisme aux XIXe et XXe siècles, puis sur les effets mondiaux de la révolution russe d’Octobre, l’auteur se penche aussi sur les caractères parfois prolétariens des mouvements fasciste et même nazi, puis sur les spécificités du communisme chinois de Mao. Passant également en revue les mouvements d’Amérique latine, l’élan contestataire mondial des années 1968, les luttes féministes ou les rêves autogestionnaires, Shlomo Sand détaille surtout les processus historiques d’instauration de l’État-providence, emmenée par les social-démocraties européennes et nord-américaines.
Dans ses ultimes chapitres, particulièrement passionnants, l’auteur questionne l’avènement récent des populismes (de droite et de gauche), fort bien implantés dans le « prolétariat rouillé » des régions désindustrialisées, lacérées par les délocalisations néolibérales et marquées par la corrosion des usines. Mais aussi par la précarité généralisée. Sand s’interroge sur « une fin de parcours pour la gauche traditionnelle ». Et de pointer les dangers du manque de solidarité internationale quand les populismes dits de gauche sont fondamentalement nationaux. Mais il souligne surtout, comme nécessité pour la continuation du mouvement de l’émancipation, la conjugaison inévitable des revendications écologistes et sociales – car intrinsèquement liées. À la condition que « des forces sociales porteuses d’intérêts » soient en mesure de s’en emparer, de les représenter, et « les transcrivent dans le domaine politique ».
Malgré les tentations de « repli chauvin », ce ne sera possible que lorsque « les salariés “d’en haut” se rendront compte que leur avenir dépend des salariés “d’en bas” ». Et non de la supposée bonté des actionnaires.
Une brève histoire mondiale de la gauche Shlomo Sand, traduit de l’hébreu par Michel Bilis, La Découverte, 320 pages, 20 euros.