Hongkong : Face à la répression, l’exil à tout prix

Alors que les libertés de l’ex-colonie britannique ne cessent d’être piétinées, au moins 100 000 Hongkongais ont quitté la ville depuis l’instauration d’une loi draconienne. Plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, ont assoupli les conditions d’accueil.

Valentin Cebron (collectif Focus)  • 9 février 2022 abonné·es
Hongkong : Face à la répression, l’exil à tout prix
Génération identitaire (ici à Paris le 20 février 2021) était déjà en perte de vitesse quand le groupe a été dissous. n
© Antoine Wdo/Hans Lucas/AFP

Il est parti sans crier gare. Sans même dire au revoir à ses parents. Trop risqué, dit-il. « J’ai rassemblé mes affaires, acheté un nouveau téléphone, un billet pour Taïwan et j’ai filé à l’aéroport », raconte Paul Lee (certains noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité). « Je ne me suis senti rassuré que lorsque l’avion a décollé », poursuit le jeune Hongkongais de 25 ans. En regardant à travers le hublot, il a compris qu’il faisait ses adieux à Hongkong. C’était début 2020. Une semaine avant son départ du territoire censé être semi-autonome, sept policiers débarquaient dans son appartement aux aurores, le tabassaient puis l’emmenaient au poste.

« Ils m’ont frappé le visage contre le mur de ma chambre, mis la tête dans les toilettes, l’un d’eux a menacé de me défenestrer », détaille l’étudiant, qui était alors seul et inoffensif. Après deux jours de garde à vue, dont le premier à l’hôpital en raison des coups essuyés, Paul Lee a payé une caution de 10 000 dollars hongkongais et la police l’a relâché, faute d’éléments probants contre lui.

Ces pays prêts à accueillir les Hongkongais Plusieurs pays ont assoupli les conditions d’accueil des ressortissants de Hongkong souhaitant fuir la répression. À défaut de proposer l’asile politique, non inscrit dans la législation de Taïwan, l’île démocratique fournit une aide humanitaire aux Hongkongais en danger. Elle a aussi créé un bureau pour traiter les demandes d’installation sur son sol et délivrer des visas « investisseurs ». Depuis le 31 janvier 2021, les Hongkongais nés avant 1997 et leurs familles qui détiennent un passeport BNO peuvent rester cinq ans au Royaume-Uni, y travailler et prétendre à une naturalisation. Les diplômés hongkongais des universités canadiennes peuvent aussi demander un permis de travail de trois ans. Joe Biden a offert, l’été dernier, l’asile temporaire aux ressortissants de Hongkong présents aux États-Unis. Dernièrement, c’est l’Australie qui a annoncé introduire deux visas de résidence permanente aux citoyens de Hongkong ayant vécu dans le pays.
Sorti du commissariat, le jeune homme a pris conscience qu’une épée de Damoclès était suspendue au-dessus de sa tête. « Si j’étais resté, j’aurais fini en prison, comme nombre de mes camarades », lâche Paul Lee. Il l’affirme : il n’est ni un criminel ni un fauteur de troubles, juste un « gamin » qui a tenté de défendre les libertés dont bénéficiaient les Hongkongais auparavant. Coutumier des mouvements sociaux depuis la révolution des parapluies, qui a fait naître en 2014 une -génération -politisée, -farouchement opposée à la mainmise du pouvoir chinois sur Hongkong, il a activement pris part aux manifestations pro-démocratie qui ont secoué la ville de 7,5 millions d’habitants cinq ans plus tard.

« J’étais un frontliner », confie Paul Lee. C’est-à-dire un manifestant en première ligne dans le bloc, casque sur le crâne, masqué et tout de noir vêtu, prêt à tenir tête aux sbires en uniforme. Il faisait partie des militants qui, en juin 2019, las de la répression brutale des rassemblements pacifiques – réunissant jusqu’à 2 millions de personnes –, ont choisi la force comme réponse à la violence policière et politique.

Dès juillet 2019, les autorités taïwanaises promettaient d’aider les « amis de Hongkong » en quête de refuge. Un premier contingent de manifestants hongkongais craignant pour leur sécurité arrivait sur l’île et bénéficiait d’une assistance humanitaire de la part du gouvernement, qui a ainsi aidé Paul Lee à se loger. Installé à Taipei, ce dernier ne regrette pas son choix. Car, depuis ce mois de juin 2019, selon le site d’information Hong Kong Free Press, plus de 10 000 Hongkongais ont été arrêtés et 2 700 inculpés, en lien avec les protestations antigouvernementales.

Le jeune homme se sent « coupable » de ne pouvoir que regarder, impuissant, Hongkong tomber inexorablement dans l’escarcelle du Parti communiste chinois (PCC). Surtout depuis l’application, fin juin 2020, de la loi sur la sécurité nationale (NSL), qui réprime à tout-va.

10 000 Hongkongais ont été arrêtés et 2 700 inculpés, en lien avec les protestations antigouvernementales.

Élaboré par Pékin pour mater une jeunesse hongkongaise assoiffée de démocratie, ce texte rétroactif rend passibles de prison à vie les crimes de « subversion », « sécession », « collusion avec l’étranger » et « activités terroristes » : des termes délibérément vagues pour que la portée de la législation englobe ce qui gêne le PCC ou les autorités locales à sa botte. Une législation liberticide qui a encouragé une nouvelle vague d’arrivées à Taïwan, parfois clandestines par la mer, via des passeurs. Au total, les services d’immigration taïwanais ont délivré 10 813 visas à des Hongkongais pour un titre de séjour court en 2020, le double de l’année précédente. Et la tendance se poursuit : record battu en 2021 avec 13 000 délivrances, dont 1 685 de résidence permanente.

Kacey Wong, lui, espère décrocher ce précieux sésame « d’ici à cinq ans ». Il vit depuis juillet à Taichung. « Hongkong restera gravé dans mon cœur et ma mémoire », dit-il en posant la main sur sa poitrine lors d’un entretien en visioconférence. Cet artiste de 51 ans a tiré un trait sur un éventuel retour. « Ma liberté artistique est ce qui m’importe le plus. À cause de la NSL, impossible de la conserver, je ne voulais pas m’autocensurer, donc je suis parti », narre le créatif, dont les œuvres défient avec sarcasme la Chine autoritaire de Xi Jinping.

Si Kacey Wong a choisi de s’exiler à Taïwan par proximité géographique et culturelle, -plusieurs de ses proches se sont envolés vers des pays occidentaux. Tel est le cas de Rachel Yau**, une avocate de 30 ans qui a atterri fin 2021 dans une ville du continent nord-américain qu’elle préfère ne pas nommer. Elle qui défendait des militants pro-démocratie sous le coup de la NSL s’est finalement résignée face au délitement, jour après jour, d’une justice autrefois indépendante : « J’ai perdu toute confiance en la fiabilité du système juridique », dit-elle avec désarroi. Quitter Hongkong a été la décision la plus difficile de sa vie. Comme elle, la plupart des nouveaux exilés choisissent les États-Unis, le Canada, -l’Australie ou le Royaume-Uni. Des pays qui ont assoupli les conditions d’accueil des ressortissants hongkongais en réaction à la draconienne NSL.

Selon les autorités hongkongaises, la ville avait, à l’été 2021, perdu 90 000 habitants en une année seulement. Des chiffres probablement sous-évalués : un responsable de l’association Hongkongers in Britain affirmait, le 2 juillet 2021 au Monde, que 100 000 Hongkongais étaient déjà arrivés sur le seul sol -britannique.

Passé historique oblige, le Royaume-Uni est en effet la destination privilégiée des résidents de Hongkong qui fuient la répression. En décembre, les parents de Christy Wong** ont acheté un appartement dans la capitale britannique, où une grande partie des exilés hongkongais s’établissent. « Nous avons choisi Londres pour nous adapter plus facilement à un nouvel environnement », explique la jeune femme de 29 ans, qui a décidé de ne plus vivre dans une ville « emplie de peur et de terreur ». Elle n’avait jamais foulé le sol du Royaume-Uni, bien qu’elle possède depuis toujours la citoyenneté britannique. Son père l’avait obtenue lors de la rétrocession, car il travaillait pour l’administration coloniale.

Rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni le 1er juillet 1997, Hongkong, censée depuis lors être régie selon la formule « un pays, deux systèmes », devait jouir d’un certain degré d’autonomie vis-à-vis de Pékin. Au moins jusqu’en 2047, comme le prévoit la déclaration conjointe sino-britannique (1984), qui scellait son statut de région administrative spéciale (RAS). Entre-temps, la NSL, imposée par le régime chinois le 30 juin 2020, a été votée et appliquée. Pékin n’a pas attendu cinquante ans après la rétrocession pour mettre définitivement la RAS au pas. Face à cette « violation manifeste de l’autonomie de Hongkong », Boris Johnson annonçait, au lendemain de l’entrée en vigueur du texte, son intention d’étendre les droits du passeport BNO (« British National Oversea »), un titre de voyage accessible aux Hongkongais nés avant la rétrocession et à leurs enfants.

La promesse a été tenue. Le 31 janvier 2021, les Hongkongais éligibles – 5,4 millions d’après le Home Office – pouvaient demander en ligne ce document leur permettant de rester et de travailler au Royaume-Uni pendant cinq ans. Un an plus tard, près de 90 000 ont postulé.

La moitié des Hongkongais récemment arrivés au Royaume-Uni sont sans emploi et vivent de leurs économies.

Carmen Lau, 26 ans, s’estime chanceuse. « Je suis née avant 1997 et mes parents, à l’époque, l’avaient demandé pour moi », précise cette ex-conseillère de district, l’une des personnalités publiques ayant fui la persécution politique, marquée par l’arrestation, début 2021, de 53 figures pan-démocrates. En juillet 2021, elle a posé ses valises à Londres, d’où elle a appelé au boycott des élections législatives de décembre, les candidats pro-démocratie initiaux étant incarcérés ou ayant fui à l’étranger. Ce qui lui a valu d’être recherchée par les autorités pro-Pékin. L’abstention lors dudit scrutin est historique (30 %), mais « il n’existe plus aucun espace de liberté », déplore Carmen Lau d’un rire nerveux. Chanter des slogans pro-démocratie, critiquer le PCC sur les réseaux sociaux ou donner une interview à un média étranger peut suffire à s’attirer des ennuis.

C’est pourquoi Roy Chan**, 39 ans, a tout plaqué le 27 juin 2021, deux jours après la fermeture du journal d’opposition Apple Daily. Passeports BNO pour toute la famille : lui, sa femme, ses enfants de 4 et 8 ans, ainsi que sa mère de 62 ans louent aujourd’hui un logement à Birmingham. « Le sentiment d’être contraint à l’exil est terrible,dit-il, la gorge serrée au bout du fil_. Mais il le fallait pour l’avenir des enfants. On ne voulait pas les mettre en danger ni qu’ils reçoivent une éducation patriotique à la chinoise. »_

Citée par le New York Times, une enquête menée en mai 2021 par un syndicat d’enseignants – désormais dissous – révélait que 30 % des écoles primaires interrogées avaient constaté que plus de vingt élèves s’étaient fait arrêter. Rassurés pour leur progéniture, les Chan, comme la moitié des Hongkongais récemment arrivés au Royaume-Uni, selon un sondage, demeurent sans emploi et vivent de leurs économies.

La majorité des exilés appartiennent à la classe moyenne ou aisée.

« C’est même plus compliqué pour ceux qui demandent l’asile politique », ajoute Carmen Lau. Isolés, ils vivent dans l’attente et ne peuvent pas travailler légalement. À l’image de Honcques Lau, 20 ans, qui l’a demandé lorsqu’il est arrivé au Royaume-Uni en juin 2020. Visé par un mandat d’arrêt à Hongkong, le militant ne se plaint pas : « Je peux respirer librement et poursuivre mon activisme contre les régimes tyranniques chinois et hongkongais. »

Malgré toutes ces difficultés, les Hongkongais ne rentreront pas au bercail : 96 % des détenteurs du passeport BNO au Royaume-Uni comptent y rester. À Hongkong, l’espoir semble s’évaporer : se taire ou partir ? Beaucoup envisagent la deuxième option, certains s’y préparent. Du moins ceux qui le peuvent : la majorité des exilés appartiennent à la classe moyenne ou aisée. Lili Chow**, 33 ans, y songe mais ne peut pas se le permettre pour l’instant. « Ma famille n’est pas riche », dit-elle. En attendant, elle déprime souvent. La nuit, ses insomnies, apparues en 2019, lui rappellent à quel point la ville qu’elle n’a jamais quittée (« my home ») est aujourd’hui « malade et triste ».

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