Imaginaire capitalistique
Ce qui jusqu’à présent relevait du lien social devient un produit d’appel pour les marques.
dans l’hebdo N° 1691 Acheter ce numéro
L’imagination. Avec la voracité et l’autodestruction, c’est probablement le qualificatif qui caractérise avec le plus d’acuité le capitalisme. Deux exemples de cette incroyable plasticité nous ont été récemment fournis par un acteur dont on doutait pourtant qu’il puisse nous surprendre sur ce plan. Deux initiatives signées du groupe Carrefour. Le géant de la grande distribution vient d’abord d’importer des Pays-Bas des « blabla caisses ». Le principe ? Au moment du paiement des courses, clients et salariés sont « autorisés » à discuter, à se donner des nouvelles des petits-enfants ou à s’échanger une recette de cuisine. Ce qui jusqu’à présent relevait du lien social qui caractérise les mammifères que nous sommes est désormais classé comme… produit d’appel par la marque. Oh ! le babil marketing saura habiller cet accaparement, convoquant d’un même geste ce qui participe à retisser du lien social et des concepts issus de la RSE, la désormais fameuse responsabilité sociale des entreprises.
Certains cadres du groupe n’hésitent d’ailleurs plus à claironner que le métier « d’hôtesse de caisse » (sic) est désormais sauvé, qu’il retrouve pleinement son sens. Nombre de caissières ayant effectivement été supplantées dans une période récente par des automates dotés de lecteurs infrarouges, de terminaux de cartes bleues et d’écrans tactiles. Expérimenté depuis trois ans, le déploiement de ces « caisses de bavardage » avait été retardé par la pandémie de covid-19. Sa généralisation s’accélère désormais. Les acteurs de la grande distribution, après des décennies de réduction de coûts et de suppression de postes, font aujourd’hui mine de s’apercevoir que l’immense majorité de leurs clients souhaitent interagir avec des… humains plutôt qu’avec des machines.
Pour stupéfiante qu’elle apparaisse, cette « découverte » n’a pas découragé Carrefour de se lancer dans une autre aventure douteuse, mais cette fois-ci dans l’univers numérique. Le groupe annonce s’associer avec le média Brut afin de créer une plate-forme de « Live shopping ». Brut Shop, c’est le nom de cet objet commercial d’un nouveau genre, ambitionne de s’emparer du leadearship sur le segment du commerce social. Les utilisateurs pourront donc acheter en ligne des produits présentés dans des « lives » auxquels ils participent en ligne. Pour mémoire, Brut, qui totalise des dizaines de millions de vues sur ses vidéos, est principalement consommé par des internautes âgés de 15 à 35 ans. Moralité ? Pour Carrefour, la conversation, qu’elle se tienne dans le monde physique ou numérique, ne doit servir qu’un seul but : vendre. Et ce quel qu’en soit le coût.
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