La bifurcation des capitalistes
L’avenir, ce n’est pas le capitalisme vert, c’est le dépassement du capitalisme par un système autoritaire favorisant une minorité.
dans l’hebdo N° 1691 Acheter ce numéro
Les riches s’enrichissent et la gauche regarde ailleurs. Les écosystèmes s’effondrent et les écologistes regardent ailleurs. Il existe des débats sans fin pour savoir si la gauche s’écologise ou si l’écologie est forcément de gauche. Et pendant ce temps, les capitalistes anticipent les conséquences des crises écologiques tout comme ils avaient envisagé la fin des Trente Glorieuses et de la croissance fordienne. Dans son dernier rapport sur les inégalités mondiales, Oxfam écrit que, « dans le monde d’après, les riches font sécession. La fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en dix-neuf mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie ». Pour illustrer cette situation, Bernard Arnault, le patron de l’entreprise de luxe LVMH, est devenu l’homme le plus riche en pleine période de confinement avec des produits vendus en quantité limitée !
Le milliardaire américain Warren Buffett avait déjà énoncé en 2005 à propos de la question sociale : « Il y a une lutte des classes, bien sûr, mais c’est ma classe, celle des riches, qui fait la guerre. Et nous gagnons. » Au-delà du cynisme, il énonçait une réalité économique et sociale, leur adaptation à un contexte politique modifié.
Désormais, les capitalistes intègrent également la question écologique dans leurs analyses. Elles divergent parfois et leur affrontement peut être violent. Mais Elon Musk n’est pas le Henry Ford du XXIe siècle. La voiture électrique Tesla n’est pas la nouvelle Ford T. Aucune volonté de démocratiser l’accès à la voiture en augmentant les salaires des ouvriers. Elon Musk, conscient des crises écologiques, veut dépasser les frontières de la planète avec SpaceX, coloniser Mars. Avec Neuralink, il veut créer des êtres humains augmentés avec des implants cérébraux, qui s’apparentent plus à une nouvelle forme de subsomption du travail au capital qu’à une nouvelle phase d’émancipation. Le transhumanisme est une exacerbation de l’exploitation. Mais il est aussi une démesure prométhéenne qui participe de l’effondrement de nos écosystèmes. Tout comme l’ancien capitalisme de la pétrochimie, de la consommation de masse ou de l’agro-industrie, le nouveau capitalisme participe à la destruction de la planète mais avec une différence importante : il imagine un monde post-capitaliste où l’effondrement est possible. Il prévoit un repli sur lui et/ou une fuite vers l’espace.
Leur monde de demain n’est pas un monde démocratique. La concentration des richesses n’est que la partie immergée de l’iceberg. La gestion de la pénurie se fera au détriment du plus grand nombre avec une concentration des ressources pour une minorité. L’avenir, ce n’est pas le capitalisme vert, mais c’est le dépassement du capitalisme par un système autoritaire favorisant une minorité. Dans un monde où l’accumulation bute sur les limites des ressources naturelles, la concentration devient un objectif prioritaire pour les forces de marché. L’accroissement des inégalités est l’un des corollaires de cette situation et l’accès aux biens fondamentaux pour le plus grand nombre deviendra très problématique. L’avenir risque d’être sombre et nous regardons ailleurs.
Par Jérôme Gleizes Enseignant à Paris-8.
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