« L’éducation ? Un sujet invisible »
Pour la sociologue Annabelle Allouch, les thématiques liées à l’école et à l’université sont peu présentes dans les débats présidentiels et les médias, alors qu’elles concernent une large part de la population.
dans l’hebdo N° 1692 Acheter ce numéro
Maître de conférences en sociologie à l’université de Picardie-Jules Verne, Annabelle Allouch est spécialisée dans les questions de politiques éducatives et universitaires. Elle revient sur la faible place accordée à ces sujets dans la campagne pour l’Élysée, à l’heure où le système éducatif poursuit sa mutation libérale, et ce au détriment des usagers.
Quelle place occupe aujourd’hui l’éducation dans les débats présidentiels ?
Annabelle Allouch : C’est un thème mineur, parce que l’éducation n’est pas un sujet -clivant. Elle ne détermine pas les choix des électeurs. Dans les programmes des candidats, on s’intéresse plutôt aux questions de société, de sécurité ou d’immigration. On parle d’économie, d’international, en particulier concernant le rapport de la France avec l’Union européenne. L’éducation est présente, mais de manière périphérique. Éric Zemmour s’en sert par exemple comme support de son nationalisme, en visant le retour au culte du mérite et de l’excellence. Du côté des candidats de gauche – à l’exception de Christiane Taubira, qui n’a pas encore détaillé son programme –, un thème fait quasi l’unanimité : Parcoursup. Fabien Roussel, Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon militent pour sa suppression. Yannick Jadot propose quant à lui des sortes de portes ouvertes permettant de passer plus facilement dans le supérieur. Une unanimité qui s’explique par ce constat : -Parcoursup est très idéologique. La plateforme met en place une sorte de compétition et de rationalité gestionnaire : il faut placer l’élève là où l’on sait qu’il sera le plus efficace.
Comment expliquer cette faible place accordée aux sujets éducatifs ?
Elle est étroitement liée à l’état de l’espace médiatique. Dans mes recherches, je me suis intéressée à la place de l’éducation dans les journaux télévisés ces dix dernières années. Conclusion : c’est le domaine le moins représenté. Loin derrière les questions de société, de politique intérieure et de politique internationale. Elle ne concerne que 2 % de l’ensemble des reportages diffusés, d’après les données de l’Institut national de l’audiovisuel. Elle s’invite sur les plateaux de manière ponctuelle, pour la rentrée par exemple, mais la campagne présidentielle ne commence véritablement qu’en janvier… Cette année, la forte mobilisation du personnel éducatif en janvier a remis le sujet sur le devant de la scène, mais cela reste épisodique.
L’éducation est un sujet invisible dans les médias, la campagne présidentielle est à cette aune. Pourtant, l’expérience scolaire concerne une large part de la population, si ce n’est tout le monde. L’école est bien souvent la première institution que l’on rencontre dans sa vie. Et 12 millions d’élèves à l’école, ce sont des millions de familles impliquées, tandis que l’enseignement supérieur concerne 50 % des 18-25 ans. On ne peut que constater le hiatus entre cette expérience commune et la faible visibilité donnée aux sujets éducatifs, cantonnée à Parcoursup et à quelques controverses sur le salaire des profs, les conditions de travail ou encore l’ouverture sociale dans les grandes écoles.
Quels sont les enjeux qui sous-tendent aujourd’hui le domaine de l’éducation ?
Nous sommes au cœur d’une transformation du système éducatif et des services publics en général, dans une logique de plus en plus libérale. On casse le service public, on sous-investit pour pointer du doigt ses défaillances par la suite et expliquer aux usagers que, s’ils veulent de la qualité, mieux vaut se tourner vers le privé. On affaiblit les syndicats enseignants et les associations de parents d’élèves, de moins en moins puissants.
Cette lecture libérale, si Emmanuel Macron est réélu, ira jusqu’à son terme : la création d’un marché scolaire et de l’enseignement supérieur. Et même si, à gauche, les candidats proposent de démanteler ce qui a été mis en place ces cinq dernières années, le secteur éducatif se trouve pris dans ce que l’on appelle une « dépendance aux sentiers » : toutes les réformes prises par le passé, sauf pour les plus idéologiques peut-être, demeurent. On garde une certaine stabilité, comme l’a prouvée la présidence Hollande, pour ne pas faire dérailler la machine administrative.
Même si la gauche passe, ce qui demeure hautement improbable, le système restera cohérent avec ce qui s’est fait par le passé.