« Les Graines que l’on sème » : Le deuil de Chiara
Réalisé avec des lycéens, Les Graines que l’on sème fait entendre l’inquiétude de jeunes face à la répression de leur libre expression.
dans l’hebdo N° 1694 Acheter ce numéro
Nathan Nicholovitch a réalisé Les Graines que l’on sème, son troisième long-métrage, avec les élèves du lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), à partir d’un fait réel : un sérieux incident qui y est survenu. Des élèves ayant inscrit « Macron démission » sur un panneau à l’entrée de l’établissement ont été placés en garde à vue à la suite de la plainte déposée par la proviseure, à la demande du rectorat, pour « dégradation aggravée ». Les lycéens ont aussitôt organisé un blocus pour exiger le retrait de la plainte. C’est alors que le cinéaste est arrivé sur place dans le cadre d’un atelier annuel organisé par la commune.
Les Graines que l’on sème, Nathan Nicholovitch, 1 h 17.
La fiction n’est donc pas mince. Ce qu’elle permet de révéler va pourtant bien au-delà de ce qu’aurait pu révéler un seul documentaire. Les jeunes qui ont participé au film, tant dans l’écriture que dans l’interprétation, se sont projetés dans ce drame et font des Graines que l’on sème, avant toute autre chose, un film de deuil.
Le chagrin est premier par rapport à la réprobation et à la colère. Les lycéens, contrairement à la représentation que le cinéma en donne habituellement, ne sont pas dans la tchatche, mais dans le silence, le recueillement. C’est le cas en particulier au cours des séquences à l’église, lors des obsèques de Chiara. Puis, au cimetière, les unes et les autres s’expriment successivement pour évoquer leur amie disparue et l’état dans lequel les laisse sa mort. À travers ces longues prises de parole nécessaires et tenues par l’émotion – que l’on retrouve quand certains d’entre eux font face à une psychologue –, Chiara acquiert une existence, devient un être réel. Sa perte prend en même temps des allures de métaphore. Chiara était une partie d’eux-mêmes, la plus audacieuse, la plus courageuse. N’a-t-elle pas disparu avec elle ? La répression de leur libre expression a pour but de leur faire peur – sans doute le mot le plus souvent prononcé dans le film. Ils en ont conscience, soutenus par quelques-uns de leurs enseignants, dont leur professeure de français au beau discours nourri de la puissance de l’art. Du deuil à la politique, Les graines que l’on sème suit ce parcours. D’abord fragilisant puis esquissant des perspectives d’émancipation.