Moins de Zemmour, plus d’info !
Formé de journalistes, avocats, associations et syndicats, le collectif StopBolloré se mobilise pour faire condamner les discours haineux et défendre le pluralisme.
dans l’hebdo N° 1693 Acheter ce numéro
C’est un trio qui fonctionne. Composé des grands manitous d’une émission atteignant des audiences de plus d’un million de téléspectateurs : un chroniqueur vedette condamné pour incitation à la haine raciale, aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle ; un directeur de publication qui lui donne de la visibilité en le faisant intervenir quatre soirs par semaine de 19 heures à 20 heures ; un magnat des médias dont l’empire ne cesse de s’étendre, porteur d’une idéologie réactionnaire. Ajoutez-y des institutions inefficaces pour lutter contre la concentration des médias et vous obtenez un cocktail explosif aux saveurs d’anti-immigration et de discriminations.
Face à ce trio, une soixantaine d’acteurs font aujourd’hui front commun pour une information libre et le respect des principes démocratiques. Journalistes, avocats, historiens, observateurs de la Ligue des droits de l’Homme, syndicats de journalistes : ils sont réunis au sein du collectif StopBolloré et lancent une série d’initiatives contre la chaîne CNews.
D’abord, une saisine de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), née de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Après avoir visionné l’ensemble des émissions « Face à l’info » diffusées entre le 14 octobre 2019 et le 10 septembre 2021 – soit entre l’arrivée d’Éric Zemmour sur la chaîne et son départ –, le collectif a listé plus de cinquante propos incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination. Autrement dit, plus de cinquante exemples de violations de la convention signée entre l’Arcom et CNews.
Les exemples d’appels à la guerre civile portés par Éric Zemmour sont légion.
Défaut de maîtrise de l’antenne par l’éditeur, défaut de représentation du pluralisme politique, absence de promotion des valeurs d’intégration et de solidarité, complaisance dans l’évocation de la souffrance humaine, diffusion de programmes incitant à des pratiques ou à des comportements dangereux, qui ne respectent pas les différentes sensibilités culturelles et religieuses du public ou qui encouragent des comportements discriminatoires : selon le collectif, les manquements s’accumulent et traduisent un dysfonctionnement systémique. « Les dizaines d’heures d’émissions visionnées révèlent une continuité et un nombre très important de propos contraires à la convention passée avec l’Arcom, et donc susceptibles d’être sanctionnés, relève Pierre-Antoine Cazau, avocat à Bordeaux et membre du collectif StopBolloré. La force de cette saisine, c’est cette accumulation qui montre un problème généralisé sur la chaîne. »
Procédure au pénal
Pour la première fois, l’Arcom est saisie non pas sur une séquence précise d’une émission en particulier, mais sur une longue liste d’interventions qui couvrent l’ensemble de l’ère Zemmour sur CNews. Le collectif espère ainsi obtenir de véritables sanctions de la part de l’organe de régulation (lire notre article page 7). « L’Arcom doit faire son travail, assène Arié Alimi, avocat, membre de la Ligue des droits de l’Homme et l’un des initiateurs du projet StopBolloré. Vraiment, et pas qu’à la marge, comme elle l’a fait dernièrement avec une sanction de 200 000 euros contre CNews – autant dire, une goutte d’eau. Or elle dispose de toute une échelle de sanctions mobilisables pour punir l’absence de pluralisme, les propos racistes, homophobes, sexistes, xénophobes. Des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la résiliation de la convention. »
Plutôt que d’appeler à la disparition de CNews, le collectif demande à l’Arcom que la loi et la convention soient respectées. « Il faut bien comprendre aussi que, si l’Arcom ne le fait pas, c’est elle-même qui pourra être sanctionnée », ajoute Arié Alimi. Une menace à peine voilée : si l’Arcom faillit à sa tâche, elle pourrait en effet être punie par la juridiction administrative.
Outre la saisine de l’Arcom, des membres du collectif StopBolloré lancent une procédure au pénal : une plainte contre X pour « provocation à s’armer contre une partie de la population non suivie d’effets » et « diffusion à des mineurs d’un message à caractère violent et de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ».
« Nous vivons une guerre de civilisation, il faut que vous choisissiez entre la civilisation française et d’autres civilisations qui veulent détruire, qui veulent remplacer la civilisation française. Si vous refusez ce combat, vous aurez un destin tragique. » « Je dis simplement que les Français doivent se révolter. » Dans la plainte déposée par des membres du collectif StopBolloré, les exemples d’appels à la guerre civile portés par Éric Zemmour sont légion, de même que les propos discriminatoires et violents, particulièrement à l’encontre des personnes issues de la culture arabo-musulmane. Parce que l’émission « Face à l’info » était diffusée sur une chaîne nationale gratuite, ces propos ont pu être vus et entendus par des mineurs : un délit passible, d’après le code pénal, de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Quant au délit de -« provocation à s’armer contre une partie de la population non suivie d’effets », même somme pour l’amende mais une peine de prison plus lourde : cinq ans.
« Ce n’est pas Éric Zemmour qui est ciblé spécifiquement, on vise plus large, et c’est nouveau, précise Arié Alimi. Avec ces infractions au code pénal, nous pensons que d’autres personnalités du groupe, y compris des dirigeants, pourront être inquiétées. » D’après la loi de 1881, qui détermine les responsabilités pénales en matière de droit de la presse, le directeur de publication est désigné comme l’auteur des délits, étant responsable des contenus diffusés.
« Les infractions au droit de la presse relèvent de la loi de 1881, qui était au départ très protectrice des organes de presse, des journalistes, des chroniqueurs et des directeurs de publication. Le gouvernement a essayé, progressivement, de la vider de sa substance pour pouvoir la retourner contre les journalistes. Aujourd’hui, on retourne l’arme forgée par l’État contre les journalistes pour l’utiliser contre les puissances financières », détaille l’avocat.
Principes démocratiques
Le collectif pourrait aller plus loin encore en ouvrant une autre procédure de nature pénale. « Elle viserait les dirigeants du groupe, notamment le patron du groupe Bolloré, ou celui qui l’a été, confie l’avocat. C’est l’objectif : qu’ils sachent qu’ils n’ont pas d’immunité. »
Au-delà de ces procédures, StopBolloré lancera une campagne de communication massive en diffusant sur les réseaux sociaux des vidéos et des publications relatives à la concentration des sources d’édition. Un meeting devrait avoir lieu en mars à Paris, des rassemblements et des manifestations seront organisés par la suite. « Nous voulons articuler travail judiciaire, médiatique et politique pour gagner en efficacité, explique Arié Alimi. Et créer un effet détonateur : aujourd’hui, pour que les médias s’intéressent aux problèmes des médias, et pour que l’opinion publique comprenne l’enjeu et la dangerosité que fait naître la concentration, il faut pouvoir susciter leur attention. »
Protéger les principes démocratiques, la liberté de la presse, le droit d’informer. À l’heure où les mains des puissances d’argent se referment de plus en plus sur les journaux, les radios et les chaînes de télévision, le collectif StopBolloré lève le poing. « Nous allons utiliser tous les moyens à notre disposition, en nous appuyant sur la puissance politique que représente la création d’un collectif citoyen, associatif et syndical, pour que des mesures concrètes soient prises une bonne fois pour toutes, énonce Arié Alimi. Une vraie force politique est en train de naître, avec comme objectif de rendre aux journalistes et aux auteurs leur liberté. »