Natalie Dessay dans « Hilda » : vampire au foyer

Élisabeth Chailloux met en scène Hilda, un conte dont toute l’horreur tient dans le langage.

Anaïs Heluin  • 2 février 2022 abonné·es
Natalie Dessay dans « Hilda » : vampire au foyer
© Pascal Zelcer

Tandis que La vengeance m’appartient, paru début janvier, complète une œuvre romanesque bien connue et récompensée à plusieurs reprises – particulièrement par le prix Goncourt en 2009 pour Trois Femmes puissantes –, Marie NDiaye est aussi célébrée ces temps-ci comme autrice dramatique. Stanislas Nordey met en scène un texte écrit sur sa demande : Berlin mon garçon, dans lequel une mère part en quête de son fils disparu pour des raisons mystérieuses. Dans Royan. La professeure de français, également fruit d’une commande, Nicole Garcia incarne une enseignante confrontée à des fantômes à la suite du suicide d’une de ses élèves.

Grâce à une mise en scène de Jacques Vincey, on pourra encore découvrir en avril, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Les Serpents, conte cruel et fantastique qui revisite la figure de l’ogre. Dans ce même théâtre, qu’elle a longtemps codirigé avec Adel Hakim, Élisabeth Chailloux prépare le terrain complexe de Marie NDiaye avec Hilda. Dans cette pièce, toutes les obsessions de l’autrice – pour beaucoup liées aux relations de pouvoir ancrées dans l’intimité, notamment le cercle familial – se concentrent dans la parole d’une seule protagoniste. Non pas le personnage éponyme, mais celle qui l’emploie en tant que femme à tout faire : Madame Lemarchand.

La comédienne et chanteuse Natalie Dessay s’empare avec précision du quasi-monologue de Hilda. Très précisément dirigée, elle revisite avec subtilité une autre figure récurrente des contes et légendes : le vampire. Face à un Gauthier Baillot presque entièrement muet dans le rôle de l’homme dépossédé de sa femme, Hilda, Natalie Dessay n’a guère besoin d’être physiquement monstrueuse pour inspirer l’effroi.

À peine exprime-t-elle, en tout début de pièce, son désir de «porter secours à Hilda, pour peu qu’elle soit vaillante et raffinée», sa soif de domination est claire. Elle s’exerce avant tout par le langage, dont le trop-plein trouble d’autant plus que jamais Hilda ne parle, ni même n’apparaît.

Par son choix d’une scénographie épurée, une sorte d’ébauche de décor boulevardier, Élisabeth Chailloux donne sur scène aux mots toute l’importance que Marie NDiaye – qui, même lorsqu’elle écrit pour le théâtre, demeure éloignée de ses réalités concrètes – leur attribue sur la page. Dans la bouche de Natalie Dessay, la logorrhée de Madame Lemarchand résonne dans toute sa violence et sa détresse. Car dans Hilda comme ailleurs dans l’œuvre de son autrice, les faibles et les puissants ont beau s’opposer, ils partagent une blessure plus profonde et complexe que celles qu’ils se font dans leurs guerres.

Hilda****, du 16 au 20 février au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Ivry-sur-Seine (94), 01 43 90 11 11. www.theatre-quartiers-ivry.com. Également le 8 mars au Châteauvallon-Liberté, Toulon (83).

Théâtre
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