En Allemagne, la guerre fracture Die Linke
La formation de gauche, traditionnellement ouverte au dialogue avec le gouvernement russe, se retrouve ébranlée par l’invasion de l’Ukraine.
dans l’hebdo N° 1696 Acheter ce numéro
C e qui m’horrifie vraiment dans votre déclaration, c’est l’absence d’émotion face à cette guerre d’agression, aux morts, aux blessés et à la violence. » Celui qui a écrit ces mots est une figure du parti de gauche allemand Die Linke. Gregor Gysi, septuagénaire originaire d’ex-Allemagne de l’Est, est député sous les couleurs de Die Linke depuis 2005, mais aussi porte-parole du groupe sur la politique étrangère. Dans ce courrier, repris dans la presse allemande le 1er mars, il s’adresse à des camarades de son parti à propos de l’invasion russe en Ukraine.
Die Linke (« La Gauche ») est née en 2007 du rapprochement entre d’anciens sociaux-démocrates et la formation politique héritière du parti dirigeant d’Allemagne de l’Est. Depuis, cette gauche de la gauche était restée sur une ligne anti-atlantiste et de relative compréhension envers les revendications du gouvernement russe. Dans son programme, Die Linke demande par exemple la dissolution de l’Otan et son remplacement par un système de sécurité collective avec la participation de la Russie. Face à l’attaque militaire d’il y a deux semaines, les lignes ont bougé. « Rien ne peut justifier cette guerre d’agression », ont immédiatement réagi, le 24 février, les deux coprésidentes du parti. « Cette guerre est une césure, y compris pour nous », annonçait aussi sa direction après la session extraordinaire du Bundestag du 27 février. « Die Linke s’inscrit dans la tradition de l’internationalisme de gauche. Cet internationalisme n’a jamais été solidaire d’autocrates comme Poutine. Notre solidarité va aux gens qui, en Ukraine, s’opposent à l’armée russe », poursuivait la déclaration.
« Au sein de mon parti, nous ne nous attendions pas à cette attaque. Nous avions mal évalué les intentions du gouvernement russe. Nous considérons les choses autrement désormais et disons que Poutine est l’agresseur et doit être stoppé. Nous sommes aux côtés de la population ukrainienne, de ceux qui fuient et qui cherchent protection », a aussi souligné lors de ce débat la cheffe du groupe au Parlement allemand, Amira Mohamed Ali.
Un groupe d’élus refuse les sanctions à l’encontre de la Russie.
Mais voilà que, juste après, un groupe de sept parlementaires, mené par Sahra Wagenknecht (qui avait tenté en 2018 de lancer son propre mouvement, Aufstehen – « Soulevez-vous » –, lire Politis n° 1519), a publié une position aux accents différents. Les sept y déclarent certes que « l’attaque militaire de grande envergure menée par la Russie contre l’Ukraine est une guerre contraire au droit international » et la condamnent. Mais ils renvoient en même temps la faute sur les États-Unis, les accusant de porter « une part de responsabilité déterminante dans la situation ». En outre, ces élus refusent les sanctions à l’encontre de la Russie. « Tout ce qui vous intéresse, c’est de sauver votre vieille idéologie », les accuse Gregor Gysi, qui assure critiquer lui aussi régulièrement l’Otan. Mais pour lui, dans le cas présent, l’Alliance atlantique « n’a pas commis une seule erreur » qui pourrait justifier la guerre. « Ne devons-nous pas, nous aussi, nous remettre en question ? » interroge encore le député.
Des dissensions déchirent en fait Die Linke depuis des mois. Dans un livre publié au printemps 2021 et devenu un best-seller, Sahra Wagenknecht avait reproché à sa formation politique d’être devenue une « gauche de style de vie » en défendant les luttes pour les droits des minorités. Des militants avaient ensuite demandé son expulsion du parti. Cet été, les élus Die Linke n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord au sujet de l’opération militaire d’évacuation de l’Afghanistan, au moment où les talibans venaient d’y reprendre le pouvoir. Quelques-uns avaient voté pour ; d’autres contre ; la majorité s’était abstenue. Aux élections législatives de septembre, le parti s’est effondré dans les urnes, avec seulement 4,9 % des voix, contre 9,2 % quatre ans plus tôt. Il n’a sauvé son groupe au Bundestag que de justesse.
Die Linke reste toutefois unie dans son refus des livraisons d’armes allemandes à l’Ukraine et son opposition à l’augmentation historique du budget militaire allemand, annoncée par le chancelier, Olaf Scholz, à la suite de l’attaque russe. Au-delà des débats qui secouent la gauche de l’échiquier politique outre-Rhin, ces deux sujets risquent de susciter des divisions chez les sociaux-démocrates et les Verts, partenaires de la coalition au pouvoir.