En Corse, le dangereux jeu de dupes de Paris
Emmanuel Macron ne cesse de pratiquer l’autorité jacobine envers les Corses et leurs élus. Au risque d’un retour à la violence.
dans l’hebdo N° 1698 Acheter ce numéro
Mais à quoi joue donc Emmanuel Macron (et le gouvernement) en Corse ? Le fameux « en même temps » de « Jupiter » ne semble pas être à l’ordre du jour face aux élus du suffrage universel sur l’île de Beauté. Alors que Gérald -Darmanin tentait d’éteindre l’incendie couvant de Bastia à Ajaccio en passant par Corte, après plusieurs manifestations du mouvement nationaliste ayant pour beaucoup tourné à l’émeute – acceptant jusqu’au principe d’une « autonomie » –, le candidat président, lors de la présentation de son programme, semblait fermer la porte, jeudi 17 mars, aux ouvertures de son ministre de l’Intérieur. À tel point que, le lendemain, troisième journée du ministre dans l’île, les élus nationalistes, échaudés par les nombreuses promesses non tenues de Paris dans le passé, demandaient qu’un protocole d’accord écrit explique la méthode, le calendrier et les termes de futures négociations sur cette « autonomie » promise.
Peine perdue. Seul Gilles Simeoni signait avec Gérald Darmanin un « compte rendu » des discussions des deux journées précédentes. Un texte a minima que toutes les autres composantes de la famille « natio » ont quant à elles refusé de signer.
La tentative d’assassinat en prison d’Yvan Colonna a choqué les militants, mais a surtout été une « allumette ayant allumé un feu qui couvait depuis un bon moment, surtout au sein de la jeunesse », comme le souligne une dirigeante de Gioventù Indipendentista (Jeunesse indépendantiste), de nouveau première organisation aux élections étudiantes de janvier au conseil d’administration de l’université de Corte. En dépit des déclarations jouant l’ouverture du candidat Macron avant son élection à -l’Élysée en 2017, celui-ci n’a cessé depuis d’afficher une posture martiale et centralisatrice, refusant toute avancée et toute réponse concrète aux revendications des élus nationalistes, qu’ils soient « indépendantistes » ou « autonomistes ».
Depuis son élection, le Président a refusé toute réponse aux revendications des élus nationalistes.
Le président de l’exécutif de la collectivité de Corse (CDC), Gilles Simeoni (autonomiste) – dont l’élection avait motivé l’arrêt des actions armées des clandestins du FLNC –, essaie d’emprunter depuis des années la voie de la négociation avec Paris. On ne peut donc que s’interroger sur les volontés réelles du chef de l’État sur le « dossier Corse », alors que Gilles Simeoni devrait être celui sur lequel s’appuyer pour mener une véritable politique d’apaisement vers une solution globale.
Élu en 2015 à la présidence de l’exécutif de la CDC, allié avec les indépendantistes de Corsica Libera emmenés par Jean-Guy Talamoni (qui devient alors le président de l’Assemblée de Corse), réélu encore plus largement en 2017, puis aux régionales de 2021 – où, tout en marginalisant les « durs » de Corsica Libera, les nationalistes obtiennent plus de 70 % des voix –, Gilles Simeoni n’a cessé de montrer une volonté de négociations et d’ouverture. Jusqu’à se soumettre à d’inacceptables humiliations. Ainsi, lors de la première venue en Corse du locataire de l’Élysée, en février 2018, il se prête sans rechigner, tout comme Jean-Guy Talamoni, pourtant exaspéré, et les trois députés présents (la Corse compte quatre circonscriptions), à une fouille au corps avec détecteur de métaux par la police, avant de rejoindre la salle de réunion où se trouve le président. Où celui-ci va fermer la porte à la moindre avancée, après avoir refusé la présence du drapeau corse à côté des bannières tricolore et européenne. Les élus, au lendemain d’une réélection triomphale au suffrage universel, ont assisté à une sorte de leçon sur un ton de maître d’école jacobin sur « la Corse dans la République ». Alors qu’en Nouvelle-Calédonie Emmanuel Macron a tenu des heures de réunion et de négociations devant le drapeau kanak…
Après une mobilisation populaire record dans les rues des grandes villes de l’île, la jeunesse nationaliste, largement majoritaire dans les instances représentatives à la CDC ou de l’université de Corse, a de plus en plus de mal à contenir sa colère (lire page 15). Et les risques d’un retour du FLNC à la lutte armée sont plus que réels. Car, le 16 mars, à la veille de la visite de Gérald Darmanin, le mouvement publiait un communiqué qui affichait « son soutien à Yvan Colonna », mais surtout « à la jeunesse corse qui s’est emparée de la révolte », mettant en garde l’État contre « un déni méprisant » des attentes du peuple corse. Et d’avertir fermement : « Rapidement, les combats de la rue d’aujourd’hui seront ceux du maquis de la nuit de demain. »