« En nous », de Régis Sauder : Course d’obstacles
Régis Sauder retrouve les jeunes qu’il avait filmés dix ans plus tôt dans Nous, princesses de Clèves pour constater le chemin parcouru. En nous : entre émancipation accomplie et espoirs pour la suite.
dans l’hebdo N° 1698 Acheter ce numéro
En 2011, Régis Sauder filmait une classe de première du lycée Diderot, à Marseille, qui étudiait La Princesse de Clèves. Outre l’ouverture à un chef-d’œuvre de la littérature rendue possible par l’Éducation nationale et les talents d’une enseignante, le cinéaste montrait la manière dont les élèves s’appropriaient le texte, au point que les questions soulevées par Madame de Lafayette trouvaient dans leur vie intérieure des échos très puissants. D’où le titre : Nous, princesses de Clèves.
La réussite de ce parcours d’émancipation, toujours accompli dans la difficulté car rien n’est donné à ces jeunes issus de quartiers populaires – pas même l’égalité des chances –, est parfois plus limitée. La précarité guette, accentuée par la pandémie (Sarah) ; ou bien la violence des ex-compagnons a laissé de profondes traces (Aurore, très touchante dans sa difficulté à vivre).
Régis Sauder utilise le documentaire qu’il a réalisé il y a dix ans non pour resituer précisément telle ou tel – il n’est pas indispensable d’avoir vu Nous, princesses de Clèves pour apprécier En nous –, mais comme images témoins d’un passé déjà ancien. Seule à être restée à la même place, c’est-à-dire au lycée Diderot, leur professeure exprime en off sa désillusion quant aux politiques visant l’Éducation nationale et son interrogation sur sa possible démission.
En nous est fondé avant tout sur la parole des unes et des autres plus que sur une immersion dans leur quotidien, l’éparpillement spatial des protagonistes expliquant sans doute cela. Ce qui en fait parfois la limite. Quand la caméra les accompagne, les séquences sont souvent fortes. Comme celle où Cadiatou et Armelle visitent l’exposition sur le « modèle noir » au Musée d’Orsay, qui est aussi pour elles une forme de revendication par l’image à l’intérieur même du film.
Après J’ai aimé vivre là (lire Politis, n° 1673, du 29 septembre 2021), pénétrante transposition cinématographique de la matière littéraire d’Annie Ernaux, Régis Sauder poursuit son œuvre ultra-contemporaine, en phase avec celles et ceux qui résistent aux conformismes de toutes sortes. En nous montre une jeunesse combative à qui il reste encore du chemin à accomplir pour s’affirmer totalement. Cadiatou, Armelle, Sarah, Abou et les autres en ont conscience. Leur maturité impressionne.