Festival d’Angoulême : Dessine-moi un conflit d’intérêts
Une polémique qui a éclaté autour du prix Éco-Fauve au festival d’Angoulême dévoile une gestion confuse des partenariats public-privé.
dans l’hebdo N° 1697 Acheter ce numéro
Pour l’édition 2022 du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, un nouveau prix est apparu : l’Éco-Fauve Raja. Éco pour « écologie ». Fauve, comme le Grand Prix. Et Raja ? Tout simplement le « leader européen de la vente à distance d’emballage », dixit l’entreprise aux 267 millions de chiffre d’affaires et très visible sponsor du festival. Un jury a été constitué : l’activiste Camille Étienne, la journaliste Inès Léraud, l’auteur de BD François Olislaeger et deux scientifiques, membres du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Sophie Szopa et Roland Lehoucq. Le comité de sélection général a choisi sept ouvrages pouvant concourir. La communication autour du prix a battu son plein. La publicité pour le sponsor aussi.
Jusqu’à ce qu’un premier trublion s’insurge, en décembre 2021 : Yves Frémion, créateur, avec le parti Les Verts devenu depuis EELV, du prix Tournesol. Cette récompense attribuée en « off » du festival existe depuis 1997. Yves Frémion rappelle l’existence du prix Tournesol, craint le greenwashing et demande : « Qui sera le sponsor du prochain prix ? Total ? Engie ? Bolloré ? Le compteur Linky ? Les tanks Lagardère ? »
Puis les jurés alertent. « Nous avons proposé aux organisateurs du festival, et ce afin de protéger le sens de ce prix dès sa première édition, de supprimer toute marque sur celui-ci, écrivent-ils dans une explication commune, le 9 février. Nous venons d’apprendre que c’est finalement nous, membres du jury, qui sommes évincés ! » Puis trois ouvrages sont retirés de la sélection par leurs auteurs, quatre autres restant en lice. Un jury de lecteurs est mis en place par le festival.
Franck Bondoux, délégué général du festival, réagit vivement et publiquement, affûtant son argumentaire. Il allume habilement des contre-feux, rappelle la nécessité d’« entreprises partenaires dans le champ culturel », fustige « la problématique de pureté » ou questionne « la probité des auteurs qui rejettent les entreprises ». « Comment en si peu de temps sommes-nous passés de personnes dignes d’intérêt à des menteurs et des radicaux ? » en vient même à s’interroger Inès Léraud.
Il faut dire qu’en matière d’« entreprises partenaires », le délégué général du festival est un expert. Franck Bondoux entretient en effet des liens privilégiés avec Bondoux Franck, gérant de la SARL Partnership Consulting, par laquelle passent notamment les partenariats privés du festival depuis 2003. Il est également gérant et toujours associé majoritaire de la SARL 9emeArt+ (elle-même associée majoritaire de Partnership Consulting – vous suivez toujours ? La boucle est bouclée ?), à qui l’association FIBD a cédé tout le festival par contrat en 2007, tacitement reconduit dix ans après jusqu’en 2027, et toujours sans appel d’offres.
« De tels flux [entre les deux SARL] ont pour conséquence d’opacifier la gestion d’une société bénéficiant par ailleurs de nombreux concours publics, note la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine (1). […] Dans une certaine mesure, la SARL 9emeArt+ fait écran à la SARL Partnership Consulting. » Or Partnership Consulting facture à 9emeArt+ des honoraires de direction et des honoraires supplémentaires, des loyers et surtout des « commissions marketing » pouvant aller jusqu’à 35 %, l’ensemble représentant plus de 300 000 euros en 2019(2). Opaque mais légal.
(1) Rapport d’observation définitive sur la SARL 9emeArt+ de la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine, délibéré le 24 juin 2021 et mis en ligne le 6 décembre 2021, www.ccomptes.fr
(2) Partnership Consulting a en 2019 un résultat net de 2 400 euros et un chiffre d’affaires de 1,052 million ; 9emeArt+, en 2020, un résultat net de 35 100 euros et un chiffre d’affaires de 2,43 millions.