Guerre et climat : survivre au XXIe siècle
Se débarrasser de notre dépendance fossile constitue une triple œuvre de salut public : pour l’économie et l’emploi, pour le climat et pour la paix.
dans l’hebdo N° 1698 Acheter ce numéro
En 2009, Harald Welzer, sociologue allemand, publiait un ouvrage choc sur les guerres de notre temps : Les Guerres du climat. Pourquoi l’on tue au XXIe siècle (Gallimard). En 2007, le comité Nobel avait déjà créé la surprise générale en attribuant son prix de la paix au Giec. Cette décision mettait en lumière le lien profond entre le modèle économique actuel, reposant sur l’exploitation de la nature et des énergies fossiles, et notre incapacité à déployer une prospérité planétaire dans la paix et l’harmonie. L’ouvrage d’Harald Welzer enfonçait encore le clou. Du fait des sécheresses, de la déforestation et de la désertification, de l’affaiblissement des nappes phréatiques… de plus en plus d’êtres humains disposeront de moins en moins de moyens de subsistance, ce qui occasionnera de plus violents et plus nombreux conflits, dont certains armés. La distinction entre les personnes fuyant la guerre et celles fuyant leur environnement est vouée à s’affaiblir ; celle établie entre réfugiés climatiques et réfugiés politiques, à perdre son sens. Dès lors, militer pour le climat, c’est militer pour la paix et la justice sociale, car les plus humbles sont, avec constance, les premières victimes des conflits, qu’ils soient économiques, politiques ou militaires.
Formuler cela est une évidence, répondront les lecteurs et les lectrices de Politis. Pas tant que ça. Pour preuve, le sursaut européen face à la guerre menée en Ukraine semble se diriger tout droit vers l’ouverture de nouvelles infrastructures gazières tandis que les plans d’appui à l’économie, à l’instar du plan de « résilience » français, semblent être orientés vers les entreprises les plus grandes, les plus consommatrices d’énergies fossiles, sans aucune condition de transformation de leur modèle économique.
Les origines du dérèglement climatique sont systémiques et puisent dans les confins de notre modèle de société. Le même que celui qui a rendu possible la guerre menée par Vladimir Poutine à l’Ukraine. Ce système, c’est celui du règne de l’interdépendance des marchés dans la recherche d’une croissance infinie sur un monde pourtant fini. C’est celui de l’extraction des ressources, de l’accaparement de territoires, de la mise sous dépendance économique, sans égard ni pour les humains ni pour les écosystèmes qu’ils habitent. C’est celui de l’asservissement des peuples qui oseraient se lever pour leur liberté, leur dignité et leur souveraineté. C’est d’ailleurs du fait de sa dépendance énergétique que l’Europe garde ouvertes les vannes du commerce des matières premières qui finance la guerre de Poutine.
Dans un autre continent, en Tanzanie et en Ouganda, TotalEnergies tente d’imposer son projet de méga-oléoduc Eacop en faisant taire la moindre opposition citoyenne. TotalEnergies, qui refuse encore de se retirer de Russie, veut son nouveau projet pétrolier, quitte à porter atteinte aux populations locales et à détruire un peu plus notre planète. Les droits humains y sont bafoués. Les conflits germent. Guerres et écocides s’alimentent l’un l’autre. Ainsi, pour remplacer les tourteaux de tournesol en provenance d’Ukraine, le risque est grand que les marchés se tournent vers les tourteaux de soja, en provenance d’Amérique latine, qui sont souvent responsables d’accaparement des terres, de déplacements de population et de déforestation… faute de lois pour les prévenir.
Pour construire la paix, sauver le climat est une absolue nécessité. Se débarrasser de notre dépendance fossile constitue une triple œuvre de salut public : pour l’économie et l’emploi, pour le climat, et pour la paix. Le 20 mars, la société civile s’est mobilisée pour soutenir la bataille politique en cours pour inscrire l’écocide dans le droit européen. Un crime devant être reconnu si nous voulons protéger notre planète de ceux qui lui portent atteinte et mettent en danger notre sûreté. La Commission européenne a en effet proposé une révision de la directive sur la criminalité environnementale, se contentant d’évoquer l’écocide dans l’exposé des motifs sans l’intégrer au texte. Mais un nombre croissant d’eurodéputé·es, particulièrement les membres de l’Alliance internationale des parlementaires pour la reconnaissance de l’écocide, construisent patiemment un rapport de force, avec l’appui des organisations associatives et syndicales de plus en plus nombreuses qui, à l’instar du Comité économique et social européen, ont fait leur cette revendication pour la planète (1). Les lois de l’économie ne sont pas au-dessus de celles de la nature. L’appel de la société civile doit désormais être entendu.
Par Marie Toussaint Eurodéputée EELV, cofondatrice de Notre affaire à tous.
(1) Publié le 2 mars, l’ouvrage de Notre affaire à tous, Les Droits de la nature. Vers un nouveau paradigme de la protection du vivant, montre que les solutions émergent partout autour du globe.
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