Macron et l’écologie : Le mirage technologique
Candidat à sa réélection, le Président mise sur l’avenir et l’innovation pour répondre au défi climatique. Une écologie 2.0 illusoire qui permet de repousser les changements structurels.
dans l’hebdo N° 1699 Acheter ce numéro
Imaginez le monde d’après. Un monde dans lequel le réchauffement climatique ne serait plus qu’un mauvais souvenir. Pas de catastrophe naturelle, de sécheresse, d’inondation : nous saurions maîtriser les aléas du climat. La technologie serait parvenue à résoudre tous nos maux : plus d’émissions de gaz à effet de serre, ni de fonte des calottes glaciaires ou de destruction des espaces naturels. Grâce à la magie de l’innovation, les déchets nucléaires, dont nous ne savions que faire, seraient transformés… en blé, pour éradiquer la faim dans le monde. Nous aurions ramené à la vie toutes les espèces qui s’étaient éteintes du fait de l’activité humaine. Dans les champs, des robots remplaceraient les paysans et les paysannes, pour plus de précision, d’efficacité et de productivité. Les agriculteurs auraient alors tout le loisir de se prélasser au soleil et de profiter de la vie. Plus question de débattre de l’âge de départ à la retraite.
Ce monde, c’est celui que nous fait miroiter Emmanuel Macron en tablant sur l’innovation, la robotique et le numérique pour répondre aux enjeux écologiques de notre temps. Une ligne que le chef de l’État avait déjà tracée au cours de son quinquennat, avec son plan France 2030, et qu’il réaffirme aujourd’hui à travers son programme en vue de l’élection présidentielle.
Le 12 octobre 2021, à l’Élysée, devant des étudiants et des chefs d’entreprise, le président de la République présente son plan France 2030, « la réponse aux grands défis de notre temps, en particulier la transition écologique ». Le plan s’articule autour de dix objectifs pour « mieux comprendre, mieux vivre, mieux produire en France à l’horizon 2030 ». Six de ces piliers ont trait à l’environnement.
Troisième révolution agricole
L’agriculture est l’un d’entre eux. Avec France 2030, Emmanuel Macron prévoit d’investir 2 milliards d’euros pour « une alimentation saine, durable et traçable ». L’objectif : une « révolution agricole et agroalimentaire » à travers le numérique, la robotique et la génétique. Un triptyque qui permettrait, selon le chef de l’État, de « sortir de certains pesticides », d’« améliorer la qualité de vie et la productivité », de gérer plus finement les productions ou encore d’améliorer le traçage des aliments.
Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, cette stratégie fondée sur l’innovation technologique représente un véritable danger, pour l’environnement, les agriculteurs et les consommateurs. « Imposer des outils aux paysans, que ce soit sur les OGM ou le numérique, c’est créer de nouvelles dépendances. Certains peuvent être intéressants, mais ils ne doivent pas être l’essentiel de notre projet politique agricole : il faut s’appuyer sur les cerveaux des paysannes et des paysans, qui mènent des initiatives, et les accompagner avec un certain nombre de techniques accessibles, qu’ils sauront maîtriser tout en conservant leur autonomie. »
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Dans son programme, Emmanuel Macron confirme cette ambition d’aller vers une « troisième révolution agricole » avec « un investissement massif dans l’innovation ». Là encore, il n’est aucunement fait mention de l’agriculture biologique, de la sortie des élevages industriels, de la précarité alimentaire. S’il propose une « loi d’orientation et d’avenir pour assurer le renouvellement des générations, la formation et l’installation des jeunes agriculteurs », il ne semble pas s’inquiéter outre mesure de la chute du nombre d’exploitants en France – leur part dans l’emploi est passée de 7,1 % en 1982 à 1,5 % en 2019. « Pour nous, c’est très violent de voir que l’on continue à faire disparaître les paysans, que l’on reste dans une logique de destruction de nos moyens de produire durablement, en espérant trouver la solution demain ou après-demain, se désole Nicolas Girod. La solution, elle est déjà là : des paysannes et des paysans nombreux, passionnés, rémunérés pour leur travail et en capacité de mener les transitions, qu’elles soient alimentaires ou écologiques. »
Le président de la République avait débuté son quinquennat dans une logique d’amélioration de la qualité des produits agricoles, affichant en octobre 2017, lors des états généraux de l’alimentation, sa volonté d’une montée en gamme « autour de labels, des signes de qualité, de la bio ». Il porte aujourd’hui un projet tout autre, axé sur la production et l’autonomie alimentaire. La crise du covid-19 avait déjà ébranlé sa stratégie du « produire mieux », la guerre en Ukraine le conforte dans celle du « produire plus ».
Énergie décarbonée
Dans le secteur de l’énergie, là encore, Emmanuel Macron a changé de discours. Élu sur la promesse d’une réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique français, il souhaite aujourd’hui prolonger au-delà de cinquante ans la durée de vie de « tous les réacteurs qui peuvent l’être » et construire six nouvelles centrales, auxquelles s’ajouteraient huit autres réacteurs de nouvelle génération. Des EPR qui ne seront pas mis en service avant 2037 et dont les coûts pourraient être sous-estimés, comme ce fut le cas pour celui de Flamanville et ses quelque 3 milliards d’euros de budget initial, multipliés par quatre aujourd’hui selon EDF, par six selon la Cour des comptes. « C’est un bon exemple des accumulations de malfaçons, de retards et de surcoûts auxquels on peut s’attendre, pointe Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Décréter que, désormais, nous maîtrisons tout à la perfection et que nous serons en ordre de marche pour délivrer tous ces réacteurs, cela relève de la méthode Coué, à l’heure où près de deux tiers des réacteurs en construction dans le monde connaissent des retards. »
À la recherche d’une énergie « décarbonée », le président-candidat compte également investir dans les énergies renouvelables, en multipliant par dix la puissance solaire française et en construisant 50 parcs éoliens en mer. Avec pour objectif d’être la « première grande nation à atteindre la neutralité carbone » en 2050, alors que la France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir respecté son objectif de développement des énergies renouvelables pour 2020. « Emmanuel Macron, dans sa fuite en avant techno-scientiste, met en péril à la fois l’environnement et le secteur de l’énergie, alerte Charlotte Mijeon. En pariant sur le nucléaire et des technologies encore peu maîtrisées, il limite les investissements en faveur des énergies renouvelables et de la sobriété énergétique. » Pour la militante, les conséquences de cette stratégie deviendront tangibles dans quelques années, lorsque les centrales d’aujourd’hui arriveront en fin de vie tandis que les nouveaux réacteurs ne seront toujours pas opérationnels et connaîtront des retards de construction. « Que ferons-nous alors, si nous avons conservé un système hautement consommateur, avec une part d’énergies renouvelables insuffisante ? Ferons-nous face à des pénuries ? Augmenterons-nous le recours aux énergies fossiles ? Il est complètement irresponsable de tabler sur le nucléaire et les grandes infrastructures pour réduire nos émissions : des solutions à plus petite échelle sont bien plus efficaces. »
Art de la diversion
Emmanuel Macron met aussi en exergue une « solution miracle » : l’hydrogène vert. Fabriqué à partir d’un processus d’électrolyse, l’hydrogène est aujourd’hui quasi exclusivement utilisé pour des usages industriels, dans la chimie et le raffinage. Il pourrait, à l’avenir, être exploité dans le domaine des transports, dans la filière gazière ainsi que dans la production d’électricité et de chaleur. Mais sa réalisation nécessite un apport en électricité, qui provient essentiellement des énergies fossiles à l’heure actuelle. D’où l’idée de fabriquer de l’hydro-gène vert, à partir, cette fois, d’énergies renouvelables.
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Dans son plan France 2030, Emmanuel Macron affichait l’objectif de transformer le pays en un « leader de l’hydrogène vert », en construisant au moins deux gigafactories (usines géantes dans la langue de Molière) d’électrolyseurs. Car, pour le président-candidat, la France dispose d’un atout non négligeable, qui n’est autre que… le nucléaire. Une source d’énergie non carbonée, mais qui ne fait cependant pas partie des énergies renouvelables.
Là encore, le candidat LREM mise sur une technologie incertaine. « Les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien y croire, rappelle l’économiste Maxime Combes. L’hydrogène vert n’existe pas encore et les techniques utilisées actuellement émettent de nombreux gaz à effet de serre. C’est encore une stratégie de diversion : on propose des mesures partielles et on évite la remise en cause globale de notre système, pourtant essentielle si l’on veut respecter les impératifs de la transition écologique. » Car derrière le mirage pointe le naufrage.