Macron se défile devant le débat
Davantage président que candidat, Emmanuel Macron adopte une stratégie d’esquive imaginée il y a déjà plusieurs mois. Une campagne a minima que la guerre en Ukraine pare de nécessité.
dans l’hebdo N° 1696 Acheter ce numéro
Cette fois, c’est dit. Candidat, Emmanuel Macron se défile. Il se défend de se dérober au débat, mais refuse toute confrontation avec ses concurrents. Un « en même temps » peu compatible avec les attentes des électeurs dans une démocratie moderne, à l’approche d’une échéance comme l’élection présidentielle. Si la guerre en Ukraine ne lui permet pas, on en convient aisément, d’être candidat à temps plein, la décision de se placer d’emblée en surplomb de ses concurrents n’a surpris aucun observateur.
Fin janvier, déjà, l’entourage du Président susurrait aux oreilles de quelques journalistes en cour que le pas-encore-candidat ne souhaitait pas débattre avec ses rivaux d’ici au 10 avril. Ce dont Politis s’était alarmé. Ces derniers jours, des voix autorisées comme Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, dimanche soir sur TF1, expliquaient sous couvert d’« avis personnel » que le « Président-candidat » avait mieux à faire que de se confronter à ses adversaires dans une émission qui serait « une foire d’empoigne » et « du spectacle ». Emmanuel Macron a confirmé lundi soir, à l’issue d’une « conversation » avec des habitants de Poissy (Yvelines), qu’il « ne ferait pas de débat avec les autres candidats avant le premier tour ». Un choix assumé, fondé – il ne s’en cache pas – sur un privilège que lui procure son statut. « Aucun président en fonction qui se représentait ne l’a fait, argue-t-il. Je ne vois pas pourquoi je ferai différemment du Général de Gaulle, de François Mitterrand, de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy. »
Président ou candidat ? La question s’est longtemps posée quand Emmanuel Macron multipliait, ces derniers mois, les déplacements ponctués d’annonces débitées comme autant de promesses qui ne pourraient être satisfaites, si elles le sont un jour, que dans un futur mandat. Et même au-delà puisque les six centrales EPR annoncées à Belfort n’entreront pas en fonction avant 2035, au mieux. En revanche, la fonction permet de cacher la poussière sous le tapis pour laisser une bonne impression. L’estimation du coût de l’enfouissement à Bure des déchets nucléaires est repoussée à l’été ; le cabinet privé PWC le chiffre entre 39 et 43 milliards d’euros. La stratégie nationale « Biodiversité 2030 » sera présentée en deux temps, a indiqué la semaine dernière la secrétaire d’État Bérangère Abba : un « premier socle » d’ici au 18 mars (juste dix jours avant l’ouverture de la campagne officielle) et une deuxième partie après l’été, le temps (peut-être) de finaliser un projet qu’une dizaine d’ONG jugent, « en l’état, pas aboutie ».
Sa stratégie : celle d’un chef d’État trop occupé pour descendre dans l’arène démocratique.
Depuis la publication au soir du 3 mars de sa Lettre aux Français, gentiment publiée par l’ensemble des quotidiens régionaux à l’exception de La Voix du Nord, le président de la République est officiellement candidat. Après avoir « beaucoup défendu le “en même temps” », Emmanuel Macron a prétendu à Poissy qu’il était « difficile d’être […] président et candidat ». En effet. C’est dans un bureau de l’Élysée qu’a été filmé le premier épisode d’une websérie immodestement titrée « Le Candidat. ». C’est dans son local de campagne qu’il a donné son premier entretien, lundi, à LCI-TF1, consacré à l’Ukraine et à ce qu’il entreprend, en tant que président et chef de la diplomatie et des armées, pour tenter de contrarier l’offensive militaire Russe.
Pour l’heure, cette double casquette sert Emmanuel Macron. Face à son auditoire d’un soir, c’est en président qu’il a esquissé les contours du plan de résilience économique que le gouvernement prépare avec une prolongation des mesures de soutien au pouvoir d’achat pour le gaz et une partie de l’essence. Mais c’est en candidat qu’il propose de supprimer la redevance audiovisuelle sans avoir à préciser comment il financera le service public de télévision et de radiodiffusion, ni s’il privatisera une ou plusieurs chaînes. C’est également en candidat qu’il souhaite que les enfants fassent 30 minutes de sport chaque jour avant les cours en primaire ; sans que personne ne puisse lui demander comment tous les élèves d’une même école pourraient s’y livrer au même moment en l’absence de terrain de sport ou de gymnase accolé à leur établissement. De même suggère-t-il d’accorder davantage d’autonomie aux directeurs d’établissements scolaires ou de permettre l’entrée des entreprises dans les collèges dès la cinquième, à raison d’une demi-journée par semaine, pour apprendre les métiers aux collégiens.
Ces propositions méritent à tout le moins d’être questionnées dans leurs modalités pratiques, leurs implications et conséquences. En un mot, d’être débattues avec ses concurrents. Or, sans contradicteur, Macron déroule.
Pourquoi s’en priverait-il ? Le conflit en Ukraine a renforcé le sentiment de la plupart des interviewers et commentateurs que l’élection est jouée d’avance. Pour eux, la concurrence des extrêmes droites, dont les discours ont été entretenus si ce n’est favorisés dans leurs médias, et l’éparpillement de la gauche lui assuraient déjà un second tour facile. L’offensive de Vladimir Poutine et la crainte qu’elle inspire auraient définitivement tué le match. N’a-t-il pas gagné quatre points d’intention de vote, ce qui lui assure une avance de douze points sur sa suivante ?
Dans un plan serré, un Emmanuel Macron très absorbé affirme dans sa websérie qu’« il faut que le débat puisse se conduire ». Et que lui aussi, « en tant que candidat, puisse expliquer, convaincre, proposer, être attaqué, critiqué, contesté, répondre à des controverses, [s]’y livrer » lui-même. Une séquence d’un parfait cynisme puisqu’il n’en est évidemment rien. Accepter la présidence tournante de l’Union européenne – qu’il pouvait fort bien repousser d’un ou deux semestres – augurait déjà de sa stratégie d’une candidature en surplomb. Celle d’un chef d’État trop occupé pour descendre dans l’arène démocratique. Comme Annie Cordy, il nous sert désormais : « J’voudrais bien, mais j’peux point. » La chanteuse populaire avait au moins le mérite de faire rire.