Macron se défile devant le débat

Davantage président que candidat, Emmanuel Macron adopte une stratégie d’esquive imaginée il y a déjà plusieurs mois. Une campagne a minima que la guerre en Ukraine pare de nécessité.

Michel Soudais  • 9 mars 2022 abonnés
Macron se défile devant le débat
Pour l’heure, sa double casquette sert Emmanuel Macron.
© Ludovic MARIN / AFP

Cette fois, c’est dit. Candidat, Emmanuel Macron se défile. Il se défend de se dérober au débat, mais refuse toute confrontation avec ses concurrents. Un « en même temps » peu compatible avec les attentes des électeurs dans une démocratie moderne, à l’approche d’une échéance comme l’élection présidentielle. Si la guerre en Ukraine ne lui permet pas, on en convient aisément, d’être candidat à temps plein, la décision de se placer d’emblée en surplomb de ses concurrents n’a surpris aucun observateur.

Fin janvier, déjà, l’entourage du Président susurrait aux oreilles de quelques journalistes en cour que le pas-encore-candidat ne souhaitait pas débattre avec ses rivaux d’ici au 10 avril. Ce dont Politis s’était alarmé. Ces derniers jours, des voix autorisées comme Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, dimanche soir sur TF1, expliquaient sous couvert d’« avis personnel » que le « Président-candidat » avait mieux à faire que de se confronter à ses adversaires dans une émission qui serait « une foire d’empoigne » et « du spectacle ». Emmanuel Macron a confirmé lundi soir, à l’issue d’une « conversation » avec des habitants de Poissy (Yvelines), qu’il « ne ferait pas de débat avec les autres candidats avant le premier tour ». Un choix assumé, fondé – il ne s’en cache pas – sur un privilège que lui procure son statut. « Aucun président en fonction qui se représentait ne l’a fait, argue-t-il. Je ne vois pas pourquoi je ferai différemment du Général de Gaulle, de François Mitterrand, de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy. »

Audiovisuel : avantage au candidat-président Le 8 mars s’est ouvert dans les médias une nouvelle étape de la campagne présidentielle. Depuis le 1er janvier, qui ouvrait la période électorale, les médias audiovisuels étaient tenus de traiter tous les candidats déclarés ou présumés de façon équitable en fonction de leur poids politique. Désormais, et jusqu’au 27 mars, l’Arcom doit veiller au principe d’équité « renforcée ». Dans cette période, l’équité des temps d’antenne de chaque candidat – qui comprend son temps de parole et « l’ensemble des séquences qui lui sont consacrées, si celles-ci ne lui sont pas explicitement défavorables » – doit « être respectée dans des conditions de programmation comparables », en fonction de quatre tranches horaires (matin, journée, soir et nuit). En clair, il n’est plus question de diffuser Macron ou Zemmour le jour à des heures de grande écoute, et Jadot, Mélenchon ou Poutou la nuit ! L’Arcom, qui a succédé au CSA, distingue toutefois dans les prises de parole du candidat-Président ses propos en tant que chef de l’État au sens régalien et ceux quand il descend dans le débat politique. Emmanuel Macron peut donc à loisir multiplier les déclarations sur la guerre en Ukraine et ses activités de président du Conseil de l’UE, sans que ces interventions soient décomptées. Ce distinguo subsistera dans les deux semaines de campagne officielle qui précède le premier tour, entre le 28 mars et le 10 avril, période au cours de laquelle l’égalité du temps d’antenne remplace l’équité.
En guise d’explication, le candidat-Président adopte la mystique de la Ve, qui voudrait que l’élection présidentielle soit la rencontre d’un homme avec les Français : « Plutôt que de faire des meetings où des gens vous applaudissent parce qu’ils sont déjà convaincus, je préfère le débat avec les Français, c’est ce que je leur dois. » Sauf qu’en arrivant à Poissy une heure et demie plus tôt, Emmanuel Macron avait eu droit à une longue standing-ovation. Comme dans n’importe quel meeting de campagne. Et si ce n’en était pas tout à fait un, la conversation avec ces citoyens n’avait rien de « spontané » comme l’a révélé France Inter. Participants triés sur le volet par le maire ex-LR Karl Olive, acquis à sa candidature, questions écrites en amont et en rien dérangeantes… Nous étions au théâtre. Avec, au centre de la scène, un acteur au statut indéterminé.

Président ou candidat ? La question s’est longtemps posée quand Emmanuel Macron multipliait, ces derniers mois, les déplacements ponctués d’annonces débitées comme autant de promesses qui ne pourraient être satisfaites, si elles le sont un jour, que dans un futur mandat. Et même au-delà puisque les six centrales EPR annoncées à Belfort n’entreront pas en fonction avant 2035, au mieux. En revanche, la fonction permet de cacher la poussière sous le tapis pour laisser une bonne impression. L’estimation du coût de l’enfouissement à Bure des déchets nucléaires est repoussée à l’été ; le cabinet privé PWC le chiffre entre 39 et 43 milliards d’euros. La stratégie nationale « Biodiversité 2030 » sera présentée en deux temps, a indiqué la semaine dernière la secrétaire d’État Bérangère Abba : un « premier socle » d’ici au 18 mars (juste dix jours avant l’ouverture de la campagne officielle) et une deuxième partie après l’été, le temps (peut-être) de finaliser un projet qu’une dizaine d’ONG jugent, « en l’état, pas aboutie ».

Sa stratégie : celle d’un chef d’État trop occupé pour descendre dans l’arène démocratique.

Depuis la publication au soir du 3 mars de sa Lettre aux Français, gentiment publiée par l’ensemble des quotidiens régionaux à l’exception de La Voix du Nord, le président de la République est officiellement candidat. Après avoir « beaucoup défendu le “en même temps” », Emmanuel Macron a prétendu à Poissy qu’il était « difficile d’être […] président et candidat ». En effet. C’est dans un bureau de l’Élysée qu’a été filmé le premier épisode d’une websérie immodestement titrée « Le Candidat. ». C’est dans son local de campagne qu’il a donné son premier entretien, lundi, à LCI-TF1, consacré à l’Ukraine et à ce qu’il entreprend, en tant que président et chef de la diplomatie et des armées, pour tenter de contrarier l’offensive militaire Russe.

Pour l’heure, cette double casquette sert Emmanuel Macron. Face à son auditoire d’un soir, c’est en président qu’il a esquissé les contours du plan de résilience économique que le gouvernement prépare avec une prolongation des mesures de soutien au pouvoir d’achat pour le gaz et une partie de l’essence. Mais c’est en candidat qu’il propose de supprimer la redevance audiovisuelle sans avoir à préciser comment il financera le service public de télévision et de radiodiffusion, ni s’il privatisera une ou plusieurs chaînes. C’est également en candidat qu’il souhaite que les enfants fassent 30 minutes de sport chaque jour avant les cours en primaire ; sans que personne ne puisse lui demander comment tous les élèves d’une même école pourraient s’y livrer au même moment en l’absence de terrain de sport ou de gymnase accolé à leur établissement. De même suggère-t-il d’accorder davantage d’autonomie aux directeurs d’établissements scolaires ou de permettre l’entrée des entreprises dans les collèges dès la cinquième, à raison d’une demi-journée par semaine, pour apprendre les métiers aux collégiens.

Ces propositions méritent à tout le moins d’être questionnées dans leurs modalités pratiques, leurs implications et conséquences. En un mot, d’être débattues avec ses concurrents. Or, sans contradicteur, Macron déroule.

Pourquoi s’en priverait-il ? Le conflit en Ukraine a renforcé le sentiment de la plupart des interviewers et commentateurs que l’élection est jouée d’avance. Pour eux, la concurrence des extrêmes droites, dont les discours ont été entretenus si ce n’est favorisés dans leurs médias, et l’éparpillement de la gauche lui assuraient déjà un second tour facile. L’offensive de Vladimir Poutine et la crainte qu’elle inspire auraient définitivement tué le match. N’a-t-il pas gagné quatre points d’intention de vote, ce qui lui assure une avance de douze points sur sa suivante ?

Dans un plan serré, un Emmanuel Macron très absorbé affirme dans sa websérie qu’« il faut que le débat puisse se conduire ». Et que lui aussi, « en tant que candidat, puisse expliquer, convaincre, proposer, être attaqué, critiqué, contesté, répondre à des controverses, [s]’y livrer » lui-même. Une séquence d’un parfait cynisme puisqu’il n’en est évidemment rien. Accepter la présidence tournante de l’Union européenne – qu’il pouvait fort bien repousser d’un ou deux semestres – augurait déjà de sa stratégie d’une candidature en surplomb. Celle d’un chef d’État trop occupé pour descendre dans l’arène démocratique. Comme Annie Cordy, il nous sert désormais : « J’voudrais bien, mais j’peux point. » La chanteuse populaire avait au moins le mérite de faire rire.