Maud Lübeck : L’amour enf(o)ui
Sur son nouvel album, 1988, chroniques d’un adieu, Maud Lübeck fait écho avec une justesse sensible à un drame intime de son adolescence.
dans l’hebdo N° 1695 Acheter ce numéro
Figure très attachante de la chanson française contemporaine, Maud Lübeck surgit en 2012 avec La Fabrique, premier album au charme vif dans le sillage de Dominique A. Après deux courts albums plus inégaux, Toi non plus (2016) et Divine (2019), elle semble aujourd’hui se révéler pleinement comme autrice–compositrice-interprète avec 1988, chroniques d’un adieu.
Aussi concis que les précédents (10 morceaux, 30 minutes), ce nouvel album emporte d’abord par sa densité émotionnelle. Il est vrai qu’il vient du fond du cœur, Maud Lübeck exhumant ici un drame survenu durant l’été 1988 : la mort abrupte, à la suite d’un accident de voiture, d’une jeune fille dont elle était amoureuse en secret.
Alors âgée de 15 ans, jouant déjà du piano, elle s’était promis de mettre un jour cette tragédie intime en musique. « Il m’a fallu du temps pour y arriver car je ressentais une forme de pression, confie Maud Lübeck. Les années passant, je me suis dit que je n’allais pas continuer d’attendre indéfiniment. »
Le processus créatif s’amorce fin 2019 et s’achève un an plus tard, avec le concours de plusieurs musiciens invités à jouer les arrangements en studio. Pour donner forme à l’album, elle a puisé dans sa mémoire et dans le journal intime qu’elle a tenu pendant cette fatale année 1988. « Des souvenirs assez précis me sont revenus. J’ai même rêvé de la jeune fille disparue, ce qui ne m’était plus arrivé depuis trente ans… Il était très doux de retourner vers cette époque. »
Exemptes de tout épanchement larmoyant, les paroles se lovent dans des parties musicales au diapason, aussi élégantes que vibrantes. Évoluant dans la sphère d’une pop de chambre au romantisme noir, l’ensemble est hanté par le spectre du passage inexorable du temps – dont la splendide chanson Au voleur, en fin d’album, fait son sujet même.
À la voix de Maud Lübeck, d’une douceur profonde, s’ajoutent celles, non moins suggestives, de trois actrices – par ordre d’apparition : Irène Jacob, Clotilde Hesme et Nicole Garcia –, chacune sur une chanson différente.Leur présence accentue encore la dimension très cinématographiquede 1988, chroniques d’un adieu.
Évocation ardente d’un amour enf(o)ui, l’album suit une parfaite progression dramatique, au fil de chansons s’enchaînant comme des scènes, jusqu’à l’instrumental final au piano, «1988 »,tremblant fragment réel du passé.
1988, chroniques d’un adieu, Maud Lübeck, Cardiophonie/Finalistes, maudlubeck.bandcamp.com