Mélenchon agrandit son trou de souris…
Jean-Luc Mélenchon a été habile pour déjouer le piège poutinien. Prompt à dénoncer l’agression russe, il est rapidement passé à la contre-offensive en exhumant deux concepts un peu vieillis : le pacifisme et le non-alignement. Deux tours de prestidigitation en vérité. Mais le mot « paix » exerce toujours sa magie.
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Quand Poutine a lancé son agression contre l’Ukraine, le 24 février, beaucoup dans l’entourage de Jean-Luc Mélenchon ont pensé que ce croc-en-jambe de l’histoire allait être fatal à l’insoumis. L’écrasement du peuple syrien, en 2015, allait remonter à la surface comme un remords. Les phrases terribles de Mélenchon à l’époque, en soutien à Poutine, allaient venir télescoper cette nouvelle actualité tragique. Or, il n’en a rien été. En fait, seules les courbes d’Emmanuel Macron et d’Éric Zemmour, ont été infléchies. L’une à la hausse, l’autre à la baisse. Le président-candidat, omniprésent sur la scène internationale, a su profiter de son statut pour affirmer ce qu’on appelle de façon un peu énigmatique sa « présidentialité ». Il a surtout réussi – ce qui est moins glorieux – à esquiver tout débat sur son bilan. La démocratie n’en sort pas renforcée, mais lui a grappillé cinq points au passage. À l’inverse, Zemmour s’est brûlé les ailes en réaffirmant sa poutinophilie au moment où le maître du Kremlin s’attirait toute la détestation du monde. Le pire a été son opposition à l’accueil des réfugiés ukrainiens. Jusqu’où irait donc sa haine de l’étranger ?
Par contraste, Mélenchon a su faire oublier ses discours passés. Non seulement il n’a pas été affecté par le contexte international, mais les sondages le donnent en hausse depuis le début de l’offensive russe. C’est qu’il a su réimposer ses thèmes de campagne, et la fameuse mécanique du « vote utile » a fini par renvoyer à la marge tout ce qui pourrait se mettre en travers du chemin. Mélenchon a même agrandi son fameux « trou de souris » comme en a témoigné la réussite de sa marche, dimanche à Paris.
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Le voilà en course pour l’accès au second tour, la candidate RN en ligne de mire. C’est peu dire qu’il a été habile pour déjouer le piège poutinien. Prompt à dénoncer l’agression russe, il est rapidement passé à la contre-offensive en exhumant deux concepts un peu vieillis du discours politique : le pacifisme et le non-alignement. Deux tours de prestidigitation en vérité. Le pacifisme de Jaurès, invoqué par Mélenchon, est celui de 1914, à la veille d’une guerre qui allait opposer deux impérialismes. Il n’a rien à voir, par exemple, avec celui de 1940 qui allait emporter dans la déchéance quelques-unes de ses figures les plus ambiguës. Il n’est pas sûr que l’exaltation du pacifisme aujourd’hui, dans un conflit aussi asymétrique que celui qui oppose la première puissance militaire à sa victime expiatoire ukrainienne, et alors qu’il y a clairement un agresseur et un agressé, soit de bon aloi. Mais le mot « paix » exerce toujours sa magie. Même s’il y a des paix qui camouflent des capitulations. Quant au non-alignement, les historiens savent que le premier, celui de Nasser, de Nehru et de Nkrumah, a surtout été aligné… sur Moscou. Pour autant, il est intéressant de recycler le concept. Même par un homme qui, par antiaméricanisme, a toujours eu ce qu’on appelait autrefois des réflexes « campistes ». Mais qu’importe ici l’histoire, et même le passé récent ! Un vrai non-alignement, libéré de la tutelle de l’Otan, et indépendant de la Russie, pourrait être vraiment constitutif d’une nouvelle diplomatie. L’idée reste à développer, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Ajoutons que Mélenchon a eu le bon goût, dimanche, de dédier d’emblée son discours à « la résistance ukrainienne ». Ce qui avait de la gueule !
Le candidat a donc brillamment dégagé la voie pour développer sans encombre un programme social et institutionnel d’envergure. Ce que l’on a apprécié dans l’un de ses meilleurs discours, ce n’est pas tant l’augmentation du Smic, ni la retraite à 60 ans, ni même le blocage des prix qu’il nous promet dans la minute où il serait élu, mais le déploiement d’une pensée globale, « un choix de société ». Dans un exercice oratoire d’un lyrisme contenu qui flatte les intelligences, il s’est positionné à l’exact opposé de Macron. Il est vrai que le président, qui avait enfin daigné descendre dans l’arène pour égrener son programme électoral, n’avait pas fait dans la demi-mesure. Trois jours auparavant, en un fastidieux exercice de quatre heures, il avait semblé s’acquitter d’une corvée. Vous avez voulu mon programme, eh bien le voilà ! Et n’en parlons plus ! Tout y était : le report de l’âge de la retraite à 65 ans, bien sûr, un RSA conditionné à une obligation de travail ou à une formation, la réduction de la période d’indemnisation du chômage, et cette nouveauté inquiétante, l’autonomisation des établissements scolaires. Une sorte de privatisation de l’école dans le giron du public, avec rémunération au mérite. À tout cela, un trait commun : le soupçon de paresse. Les enseignants, les chômeurs, les bénéficiaires du RSA auraient besoin de carotte et de bâton. Un programme d’affrontement social dur. Si bien que cette pauvre Valérie Pécresse s’est étranglée comme Harpagon cherchant sa cassette : « On m’a volé mon programme ! » La candidate LR fait le constat tardif et naïf qu’il n’y a pas la place pour deux sur le marché du libéralisme. En vérité, Macron n’a fait qu’énumérer les invariants, tellement classiques, de la pensée libérale, dans leur version ultra. C’est une aubaine pour Mélenchon si le sort finissait par l’opposer au président sortant. Ce serait en effet deux projets de société face à face. Mais, à deux semaines de l’échéance, la marche est encore haute pour coiffer Marine Le Pen sur le fil.
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