Que sont devenus les grands meetings ?
Le rassemblement géant de Jean-Luc Mélenchon, place de la République, fait exception dans une campagne où la plupart des candidats délaissent ces rendez-vous pourtant mobilisateurs.
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La démonstration de force était recherchée. Elle a été couronnée de succès. En rassemblant dans la rue dimanche 20 mars des dizaines de milliers de personnes – 100 000 selon les organisateurs – pour une marche entre Bastille et République suivie d’un meeting sur cette grande place parisienne, Jean-Luc Mélenchon peut se targuer d’avoir réussi la plus grande manifestation publique de la campagne présidentielle. De quoi donner à voir, avec les images d’une foule dense, diverse, joyeuse et enthousiaste, un aperçu de cette union populaire qu’il cherche à constituer.
Certes, le candidat de La France insoumise, qui se présente pour la troisième fois à cette élection, avait déjà organisé des manifestations similaires en faveur d’une 6e république lors des campagnes de 2012 et de 2017 avec le même succès. Mais cette année, le contraste avec ses concurrents et adversaires est encore plus marqué, la plupart d’entre eux ayant renoncé à tenir ce qu’ils qualifient de « grandes messes » quand l’équipe de campagne du candidat insoumis les conçoit comme les étapes d’une mobilisation croissante.
L’épidémie de covid-19 a longtemps raréfié les réunions publiques, pourtant autorisées sans passe sanitaire et vaccinal par le Conseil constitutionnel. Les candidats privilégiant les médias, les réseaux sociaux et, jusqu’en février, les déplacements thématiques pour des rencontres en petit nombre. Le contexte sanitaire n’explique toutefois pas à lui seul la quasi-disparition des grands rassemblements politiques qui ont longtemps rythmé nos campagnes présidentielles. Dimanche soir, dans les commentaires médiatiques sur la démonstration de force de Mélenchon, une même question revenait : qui à gauche est capable d’en faire autant ?
Le contexte sanitaire n’explique pas à lui seul la quasi-disparition des grands rassemblements politiques.
Yannick Jadot avait opté, depuis janvier, pour la tenue de nombreux petits meetings de plein air pour « mettre la politique dans la rue », attirant quelques centaines de personnes par prise de parole. Ces derniers jours, il a annulé coup sur coup trois de ces événements : à Bordeaux (11 mars), à Toulouse (15 mars) et à Poitiers (19 mars) pour répondre à des sollicitations médiatiques et d’autres « raisons d’agenda », a expliqué son équipe de campagne. Le candidat du Pôle écologiste a toutefois prévu de tenir son grand meeting de campagne, dimanche 27 mars, au Zénith de Paris, où quelque 6 000 personnes sont attendues.
Fabien Roussel fait certes salle comble dans les meetings qu’il enchaîne à un rythme soutenu – sept entre le 9 février et le 21 mars – mais les théâtres et centres de congrès qu’il retient affichent des capacités n’excédant pas 1 500 places. Des configurations économiques, dictées par la perspective de ne pas atteindre les 5 % qui ouvrent droit au remboursement des frais de campagne. Un souci visiblement partagé par Anne Hidalgo. Depuis son échec à remplir la salle du Dock Pullman (3 500 places) à Aubervilliers, le 22 janvier, la candidate du Parti socialiste a réduit la voilure. Elle avait réservé mardi à Limoges une salle de 1 200 places pour se produire avec François Hollande, avant un meeting de plus grande ampleur à Toulouse le 26 mars et un final au Cirque d’hiver de Paris (1 500 places) le 3 avril.
De l’autre côté de l’échiquier, Valérie Pécresse a tiré les leçons de sa prestation ratée au Zénith de Paris, le 13 février, et revu à la baisse la jauge de ses salles et espacé ses réunions publiques. Quant au président-candidat, il n’a prévu à ce jour qu’un seul rassemblement, le 2 avril à Paris, à huit jours du premier tour.
Car après en avoir tenu beaucoup en 2017, et souvent dans des grands formats, Emmanuel Macron estime désormais que ces rassemblements ne servent à rien. Il « préfère débattre avec les Français » comme à Pau récemment, où il a répondu à quelques électeurs sélectionnés par les quotidiens régionaux, « plutôt que de faire des meetings où des gens vous applaudissent parce qu’ils sont déjà convaincus ». Le candidat-président parle d’expérience. Du moins de « son » expérience. Il y a cinq ans, une vidéo dont nous nous étions fait l’écho avait détaillé par le menu les recettes de son équipe de campagne pour animer ses meetings : une « team ambiance », habillée de tee-shirts colorés siglés « Emmanuel Macron président », était chargée de mettre le feu à coups d’applaudissements et de slogans commandés via … l’application Telegram.
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Pas de grands meetings non plus pour Marine Le Pen, qui a prévu vendredi 22 mars de tenir une réunion publique dans le Bordelais, à Saint-Martin-Lacaussade, un petit village d’un millier d’âmes. Depuis son énième lancement de campagne, le 5 février à Reims, avec une convention nationale de son parti, elle ne s’est produite que dans des petites villes : Vallauris (Alpes-Maritimes), Vienne (Isère), Aigues-Mortes (Gard), Bouchain (Nord). Samedi, en déplacement dans l’Yonne, elle a improvisé une prise de parole sur un parking de la petite bourgade de Piffonds (600 habitants) devant une centaine de sympathisants avec une sono crachotante. Un choix assumé autant que contraint (1), qui devrait se poursuivre jusqu’au premier tour, et que résume ainsi Julien Odoul, l’un de ses porte-parole : _« Nous, c’est la France du peuple, de la ruralité. Ce n’est pas la politique en gants blancs ou sur une scène lointaine. » Une pique qui vise Éric Zemmour.
Le candidat d’extrême droite, qui avait frappé fort à Villepinte, le 5 décembre, en rassemblant quelque 10 000 personnes dans un meeting aux allures fascisantes, mise beaucoup sur ces démonstrations de force. En baisse dans les sondages, il vient d’annoncer la création (s’il était élu) d’un « ministère de la remigration » et escompte bien que la réunion de 30 000 à 40 000 de ses fans dimanche à Paris, place du Trocadéro, pour un discours sur fond de Tour Eiffel relancera sa campagne, à deux semaines du premier tour. Pour s’en distinguer, Marine Le Pen sera quant à elle en Guadeloupe pour parler pouvoir d’achat, empoisonnement au chlordécone et pollution de l’eau, histoire d’offrir aux télés une autre image que celle d’un rassemblement sous tension prévu par son rival. Un déplacement tactique, décidé lundi en bureau politique du RN, en dernière minute donc.
« Un disque c’est bien, mais les concerts c’est mieux. La politique c’est pareil. »
Si les meetings géants et les grands rassemblements ne préjugent aucunement d’un bon résultat électoral – l’histoire des campagnes en regorge d’exemple –, ils peuvent y contribuer fortement. L’équipe de campagne de Jean-Luc Mélenchon en est convaincue. « Ce sont ceux qui n’en sont pas capables qui disent que ça ne sert à rien », assure Aurélie Trouvé dans un sourire. Pour la présidente du parlement de l’Union populaire, les meetings permettent de « se compter, de donner la patate à plein de gens qui vont faire du porte-à-porte, des caravanes ». Leur première partie est aussi « un moment de visibilité du parlement », avec des prises de parole de plusieurs de ses membres, « qui permet de montrer des gens qui nous rejoignent » et leurs profils divers.
Alexis Corbière tente un rapprochement avec la musique : « Un disque c’est bien, mais les concerts c’est mieux. La politique c’est pareil. » Pour le député de Seine-Saint-Denis, un rassemblement comme la Marche pour la 6e république « fait reculer l’abstention auprès de ceux qui se disent que tout est joué, qui sont dans la résignation ». Un état d’esprit très répandu dans l’électorat populaire que Jean-Luc Mélenchon s’efforce depuis des mois de mobiliser, y voyant la principale clé d’accès au second tour. « Les gens voient qu’il y a une force populaire qui n’a pas dit son dernier mot, poursuit Alexis Corbière. Une élection, ce n’est pas seulement mettre un bulletin dans l’urne, c’est un temps de délibération nourri de discussions dans le pays. Un événement comme celui-là peut modifier le résultat. » Non loin de lui, l’eurodéputé Manuel Bompard, le directeur de campagne de Mélenchon, y voit « une bonne rampe de lancement pour les trois dernières semaines ». Et a minima « la confirmation d’une dynamique sondagière ».
Marquer les esprits pour mobiliser les abstentionnistes. L’enjeu n’est pas mince quand les enquêtes d’opinion craignent un record d’abstention le 10 avril. Estimé à près de 30 %. D’ici là Jean-Luc Mélenchon a encore prévu au moins deux grands rendez-vous. Le 27 mars à Marseille, un grand meeting se tiendra sur la plage du Prado, comme en 2012 ; un autre aura lieu le 3 avril à Toulouse, avant un dernier à Lille, le 5 avril, qui sera retransmis en hologramme pour des meetings simultanés dans… onze autres villes.
À côté de ces grands rendez-vous, se tiennent de très nombreuses réunions publiques, sans Jean-Luc Mélenchon, dans des villes de toutes tailles. Animées par des membres du parlement de l’Union populaire et/ou des députés et eurodéputés, elles attirent néanmoins à chaque fois « entre 200 et 600 personnes » ce qui, pour Éric Coquerel, « veut dire quelque chose ». Des militants convaincus, comme le dit Macron ? « Régulièrement on fait le test pour savoir qui n’est jamais venu dans une de nos réunions. Entre 25 % et 40 % sont des curieux, des gens amenés par des amis, des voisins. » Plus d’une trentaine de ces réunions publiques étaient programmées cette semaine pour promouvoir le contenu du programme L’Avenir en commun et échanger des arguments avec « un côté éducation populaire » revendiqué. Un travail plus souterrain, mais qui reste indispensable.
(1) Fin 2020, le Rassemblement national, endetté pour 23,780 millions d’euros, affichait une situation nette négative de 18,370 millions d’euros, selon la CNCCFP, la Commission nationale des comptes de campagne et de financement des partis politiques.