Ukraine : Un conflit qui se mondialise
Une crise sociale se profile que la politique du « chèque » ne suffira pas à éteindre. Pour notre chef de guerre, perché sur son piédestal, c’est un mauvais moment à passer. Pour la gauche écologique et sociale, c’est une société à organiser. Et une Europe à repenser.
dans l’hebdo N° 1697 Acheter ce numéro
Les deux guerres qui se mènent aujourd’hui en parallèle, l’une sinistrement militaire, d’agression et d’invasion, l’autre économique, bouleversent notre vision du monde. La première amène peu à peu les plus réticents à abandonner des réflexes géopolitiques pavloviens. Paradoxalement, c’est la tentative de réaffirmation par Poutine d’un « Est-Ouest » anachronique qui nous invite à réviser les schémas anciens. Mais si les pacifistes peuvent commencer à comprendre qu’ils se sont trompés de guerre, les « pousse-au-crime », partisans d’une intervention directe de l’Otan, pourraient au contraire être encouragés par la fuite en avant du maître du Kremlin. Car la guerre se rapproche dangereusement de nous sans que nous en ayons conscience. Et pas seulement par l’émotion que suscitent légitimement les images qui nous viennent de Marioupol. Le 13 mars, il s’en est ainsi fallu d’une vingtaine de kilomètres que des missiles russes viennent creuser leurs cratères en territoire polonais. Que se passerait-il si quelques éclats de la guerre ukrainienne venaient tuer dans un pays membre de l’Otan ? L’hypothèse d’un embrasement général, voulu ou accidentel, ne peut plus être exclue. Poussé dans ses retranchements, Poutine ne semble plus trop savoir qui est belligérant et qui n’est que pourvoyeur d’armes. Et les pays occidentaux ne savent plus très bien non plus où se situe la frontière symbolique de leur engagement. Le ton du « nous ne sommes pas en guerre » de Jean-Yves Le Drian est de moins en moins convaincant. La folie meurtrière de Poutine est évidemment seule responsable de cette confusion. Mais le péril est là, inscrit dans l’échec du dictateur qui espérait une victoire rapide dans l’indifférence générale.
Alain Krivine
Je ne peux pas mettre un point final à cet édito sans avoir une pensée pour Alain Krivine. Il est, après Daniel Bensaïd et Henri Weber, le dernier des trois « mousquetaires » fondateurs de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) en 1966 à nous quitter. Il emporte avec lui l’histoire d’une génération. C’est lui qui avait sonné la charge antistalinienne au sein de l’Union des étudiants communistes (UEC). Sur le plan humain, deux mots le situaient mieux que tout : cohérence et fidélité. Krivine était un homme chaleureux, devenu dirigeant par la seule force de ses convictions, mais tellement étranger aux attributs du pouvoir ! Politis lui rend hommage dans ce journal.
Ce qui me fait dire que cette campagne n’est pas finie. Si la guerre l’éclipse médiatiquement, elle rend plus urgente des ruptures avec le système libéral si fortement inégalitaire. Comme l’avait fait la pandémie quelques mois auparavant. Une crise sociale se profile que la politique du « chèque » ne suffira pas à éteindre. Pas plus qu’une augmentation du point d’indice des fonctionnaires, dont on ne connaît pas le montant. Pour notre chef de guerre, perché sur son piédestal, c’est un mauvais moment à passer. Pour la gauche écologique et sociale, c’est une société à organiser. Et une Europe à repenser. La guerre remet à l’ordre du jour la question de la défense européenne. Celle-ci est nécessaire si l’on veut s’extraire de l’Otan, comme c’est souhaitable. Mais une Europe-puissance ne peut pas être seulement militaire. Elle doit être pour le monde un exemple social, écologique et démocratique. Là serait la véritable défaite historique de Poutine.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don