À Saclay, marche funèbre contre une Silicon Valley à la française
Un accord à gauche permettrait aux écologistes de retrouver un groupe à l’Assemblée. Mais pas au prix d’une dilution dans LFI.
Une mésange huppée en papier mâché, enterrée dans un cercueil en carton. Une mise en scène macabre symbolisant les conséquences de l’arrivée de la ligne de métro 18, composant du projet du Grand Paris. Les militants et habitants rassemblés à Saclay ont porté leur choix sur cet oiseau menacé pour illustrer les dangers écologiques qu’impliquent les travaux. Les pelleteuses grignotent les terres agricoles et zones humides de ce territoire francilien, en vue de connecter l’aéroport d’Orly à Versaille-Chantiers d’ici 2026 à 2030.
Isabelle, ingénieure agronome et membre du Collectif contre la ligne 18 n’hésite pas à s’insurger. « Ces oiseaux remplissaient le rôle des pesticides, ils débarrassaient les agriculteurs des nuisibles, mais on préfère les chasser pour implanter nos activités. » Mais les nuisibles ne seront bientôt plus un souci, remarque-t-elle, puisque les constructions à venir « signent la fin de l’agriculture sur le plateau ». Le but poursuivi par l’État est de transformer la zone en cluster de l’innovation, en y rassemblant 15% de la recherche française. « Une Silicon Valley française, preuve d’une américanisation insensée » d’après le collectif. 400 hectares de terres agricoles ont déjà disparu sous le bitume depuis le début des travaux.
Terres fertiles : espace à conquérir
Isabelle désigne la double voie sur laquelle le cortège s’est engagé, composé de deux cents personnes. « Le métro n’est pas encore arrivé mais on perçoit déjà les conséquences : les animaux n’osent plus traverser et ils sont gênés par la pollution lumineuse et sonore. » Une pollution sonore qui ne saurait être imputée aux militants. Ils avancent en silence, portés par la marche funèbre jouée au saxophone durant tout le parcours, le long du chantier. À mi-trajet, un « die-in » est organisé. La mésange et les militants s’allongent à même le bitume et fixent le ciel gris durant de longues minutes. Quelques uns restés debout les encerclent, munis de rubans jaunes sur lesquels on peut lire « scène de crime ». Une scène criante de vérité, notamment grâce aux quelques véhicules de police qui encerclent le happening. « Nous sommes debout, nous luttons », s’écrie un militant face aux corps allongés. Tous se relèvent après un coup de sifflet et le saxophone résonne à nouveau. Les bruits des pelleteuses et tractopelles continuent à se faufiler entre les notes. Et entre les champs.
« Je suis malade à l’idée de perdre des terres agricoles parmi les plus fertiles d’Europe, ce n’est pas pour rien que la capitale s’est développée ici ! » reprend Isabelle sur un ton indigné. D’après elle, la résilience et l’autonomie alimentaire franciliennes sont en jeu. « On parle de plus en plus de circuits courts et d’agriculture locale, mais au final il va falloir importer de plus en plus depuis l’étranger, surtout quand on sait que Paris a uniquement trois jours d’autonomie alimentaire », prédit-elle. Parmi les porte-paroles du collectif, Fabienne apprécie passer son temps derrière le micro. Elle regrette que des terres aussi fertiles et offrant d’importantes réserves hydriques « soient vues comme un espace vide à conquérir ».
Ville neuve, ville morte
Comme elle, beaucoup réclament une « sanctuarisation des terres » et rejettent une « idéologie néo-libérale démesurée ». Démesurée à l’image du projet de ligne 18, qui ne répondra aucunement aux besoins des usagers d’après eux. Les études menées par l’État tablent sur 40.000 voyageurs par jour. Celle des collectifs citoyens évalue ce chiffre à dix fois moins. Julien est un étudiant local, utilisateur quotidien du RER B. Et, par conséquent, fréquemment en retard pour assister à ses cours. Il regrette que l’argent dépensé ne soit pas utilisé pour optimiser ces lignes existantes, ou revivifier les petites villes et zones déjà urbanisées. La construction de cette nouvelle ligne est ici perçue comme un cheval de Troie pour une bétonisation massive.
Fabienne, qui a analysé les plans des travaux, assure que « la ligne n’a même pas le bon tracé, les gens vont continuer à venir en voiture mais comme des emplois vont être déplacés ici, il y en aura de plus en plus ». Isabelle, ingénieure en agronomie, confirme : « Ce n’est pas comme si on allait créer des nouveaux emplois en construisant ces pôles de recherche : on ne fait que les délocaliser via l’étalement urbain. »
Une ville neuve s’approprie progressivement les lieux. Certes, mais « c’est une ville morte » fait remarquer Vianney Orjebin, élu régional LFI. Il promène son regard autour de lui, sur des façades neuves, immaculées, au pied desquelles la circulation est quasi-inexistante. « Le campus qui s ‘établit ici est totalement déshumanisé », soupire-t-il. Des soupirs aussitôt suivis de reproches, notamment à l’encontre de la Présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse. Il explique ne pas comprendre le manque d’attention porté aux actions et études portées par les collectifs citoyens en présence. « Elle ne songe même pas à les auditionner », ajoute-t-il en secouant la tête. Vianney Orjebin place beaucoup d’espoirs dans la prochaine révision du SDRIF avec les élus régionaux. Ce Schéma directeur de la Région Île-de-France oriente les différents projets d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
Compensation écologique illusoire
Il trouve ironique que Valérie Pécresse ait renommé ce schéma en y ajoutant la mention « environnemental ». « On sait bien que l’économie passera toujours avant. » Parmi les exemples les plus criants de ce qu’il dépeint comme une hypocrisie : celui de la « compensation écologique », ou ZAN – zéro artificialisation nette. Le concept, explique Vianney Orjebin : « Bétonner à un endroit, compenser en plantant à un autre. » Il mentionne ce qu’il considère être l’illustration frappante de cet échec : quelques arbres plantés au pied du chantier, à l’ombre desquels les militants se sont arrêtés pour pique-niquer. « Une monoculture importée des Pays-Bas, qui ne compensera jamais la perte des territoires agricoles. » L’élu discute avec les personnes présentes, installées non loin de piliers voués à accueillir le métro aérien. Il n’hésite pas à distribuer ses cartes de visite, déçu par l’absence d’autres élus locaux.
D’autres en revanche ne sont pas surpris. Léa, 32 ans, assume ne « plus attendre grand-chose des politiques ». D’après elle, ce sont les personnes ici rassemblées « qui font de la vraie politique aujourd’hui ». D’autres luttes locales ont déjà atteint leur objectif : preuve en est l’échec de projets comme EuropaCity ou de Notre-Dame-des-Landes. « Il faut miser sur des coalitions informelles comme celle-ci, pour imposer un nouveau rapport de force avec les pouvoirs publics », résume-t-elle. Ceux qui marchent à ses côtés sont unanimes, le projet du Grand Paris a au moins le mérite de les rassembler.