« Anna », de Mia Oberländer : Les géantes
Premier livre de Mia Oberländer, Anna se moque des conventions en créant des grandes femmes.
dans l’hebdo N° 1703 Acheter ce numéro
Il y a des cases tracées à la règle, des phrases toujours encadrées et soulignées, à moins d’être un cri. Il y a une construction droite et rigoureuse, comme peut l’être la norme sociale d’un petit village autrichien. Et à l’intérieur se dessine l’univers fantasque et dru de Mia Oberländer, droit et rigoureux nonobstant. Celui de trois femmes – Anna1, Anna2, Anna3 – qui, de grande femme à la première génération, deviennent des femmes grandes aux suivantes et au sens premier. Des géantes avec des jambes immenses qui se plient, se tordent, s’emmêlent, et puis des têtes hors cadre à la remise des diplômes ou lors d’une invitation à la télévision.
Ces grandes femmes qui tirent vers le haut – celui de l’imaginaire et de l’humour – toute vacherie provinciale ou familiale sont une invention magnifique. Parce que c’est bien également ce qui se joue avec Anna : ce que l’anormal rompt, ce qu’il met en lumière des cercles alentour. Alors, grâce aux Anna, tous les jeux sont permis, tous les doubles sens se déclinent. De la grande célébrité qui, tête hors cadre, donc, conseille aux femmes de grande taille d’attendre leur grand homme ou d’acheter une robe longue et de plier les genoux à la mère trop haute pour que son bébé lui donne la main, mère qui lâche après trois cases de tentatives un laconique « tant pis… ».
La grandeur est également un fameux outil plastique. Le trait de Mia Oberländer, entre ligne claire et réalisme, s’en saisit habilement, l’habille de couleurs franches (rouge vermillon, vert bouteille, jaune citron, violet boîte de nuit) ou monochromes (gris, sépia) pour des épisodes passés, l’affine d’ombres au crayon de papier.
Les lettrages du titre et les chiffres des chapitres ont eux aussi de longues jambes bien droites. Même le chapitre 10, « Libération », s’il se libère effectivement des codes graphiques, utilise la peinture, ne souligne pas ses mots, même lui donc s’amuse encore de ce cri : « Vous êtes petits ! Minuscules. »
Cette déclinaison systématique de la grandeur dénote, seule, l’exercice qu’a pu représenter Anna pour Mia Oberländer. Car ce n’est pas seulement son premier livre, c’est aussi sa thèse de licence en illustration, comme elle le précise, afin de mieux remercier sa professeure, l’artiste Anke Feuchtenberger, auteure de La Putain P (1). Entre elles, c’est sûr, une « filliation » graphique et thématique s’est nouée. À nous les grandes lectures.
(1) La Putain P (L’Association, 1999), La Putain P fait sa ronde (FRMK, 2006), et La Putain P jette le gant (FRMK, 2010).
Anna, Mia Oberländer, Atrabile, non paginé, 22 euros.