Du glissement autoritaire à la tentation illibérale
Emmanuel Macron a exercé le pouvoir de manière autoritaire au cours de son premier quinquennat. Une verticalité qui a fragilisé l’exercice de la démocratie en France. Au point de basculer dans un régime illibéral ? Pas encore… À moins que Marine Le Pen ne l’emporte le 24 avril.
dans l’hebdo N° 1702 Acheter ce numéro
C ette tentation illibérale, nous ne devons pas la prendre à la légère. Elle constituera, à n’en pas douter, l’un des combats que la France aura à conduire », disait Emmanuel Macron, le 3 janvier 2018. Quelques mois plus tard, la crise des gilets jaunes va pourtant cristalliser le glissement autoritaire du régime français. Début décembre 2018, le pouvoir vacille. La peur se répand dans les couloirs de l’Élysée. Le vide sidéral de l’impensé sécuritaire de la Macronie doit être rempli. « Les syndicats de police ont très bien joué le coup en disant : “Sans nous, vous tombez. On ne sera pas en mesure de tenir nos troupes car ils sont proches des gilets jaunes”, explique Olivier Cahn, professeur de droit privé et sciences criminelles. Dès lors, il n’y a plus eu de réflexion. »
Emmanuel Macron embrasse l’idéologie sécuritaire majoritaire : le réalisme pénal. La même que celle de Marine Le Pen. « Une idée importée en France par Alain Bauer [professeur de criminologie, conseiller de Nicolas – NDLR] selon laquelle il faut désidéologiser la sécurité pour ne plus faire que quelque chose de pragmatique, décrit Olivier Cahn. Une façon d’habiller le fait que l’on s’en remet à la police pour décider des priorités. » Le politique démissionne. L’influence de la police devient alors considérable. Une tendance qui imprègne le programme du président sortant. Comme Marine Le Pen, « sa conception de la justice est exclusivement répressive ».
Face aux gilets jaunes, les limites se brouillent. Alors qu’il est empêtré dans une crise sociale et démocratique majeure, la réponse du jeune président est pavlovienne : Emmanuel Macron réprime durement le mouvement. Et décide d’adopter une politique particulièrement répressive sur les enjeux migratoires. « Au nom des classes populaires », ose-t-il. Une diversion populiste éprouvée. Le 31 octobre 2019, il assoit cette logique dans un entretien fleuve au journal d’extrême droite Valeurs actuelles, donnant au passage des gages à ces courants extrémistes, pensant peut-être les asphyxier. Mais, comme chaque fois dans ce type de configuration, le piège s’est inversé.
Hérésie constitutionnelle
Sous les coups du « ni droite ni gauche », les partis politiques, lieux de gestation d’idées, se sont effondrés. L’Assemblée nationale est marginalisée, utilisée comme une simple chambre d’enregistrement : le pouvoir gouverne par ordonnances. En décembre 2021, on en compte 273 : un record depuis… Philippe Pétain. Certes, la crise sanitaire est passée par là. Mais la démocratie étouffe. Les corps intermédiaires sont écrasés. Et tous ont dressé le constat de l’impossibilité de négocier avec un pouvoir fermé qui s’habille des oripeaux du dialogue pour avaliser des décisions déjà prises à l’Élysée.
Dans cette logique, le chef de l’État s’impose. « Le gouvernement est devenu totalement subordonné au président de la République, ce qui ne figure pas en principe dans la Constitution, constate Lucien Jaume, directeur de recherche émérite CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po. Normalement, le gouvernement détermine et applique la politique de la nation. Pas celle du Président. Le Premier ministre jouit constitutionnellement d’une grande autonomie. Son rôle était de définir la politique et d’en répondre devant les deux chambres. Mais depuis Nicolas Sarkozy, qui a considéré François Fillon comme un “collaborateur”, ce qui constitutionnellement est une hérésie, on observe une inflexion que l’on peut qualifier d’autoritaire. Une extension des pouvoirs du Président, visiblement contraire à la Constitution. »
Fort de cette crise institutionnelle, le pouvoir macroniste passe des lois que certains nomment « scélérates » tant elles bousculent l’équilibre libéral de notre démocratie. La loi dite de « sécurité globale » et celle dite « séparatisme » développent des leviers répressifs considérables. « On peut désormais vous interdire de créer une association, ce qui renverse toute une jurisprudence d’esprit libéral », se désole Lucien Jaume. Ajoutez à cela la dénonciation par le pouvoir d’une « gangrène islamo-gauchiste » et les graines du danger sont ainsi semées. « Nous disposons dans les textes des instruments qui permettent de réprimer simplement en désignant l’adversaire, constate Olivier Cahn. Pour l’instant, c’est resté à peu près acceptable. Mais le Rassemblement national ne se restreindra pas : s’il arrive au pouvoir, il a déjà tous les outils en main. »
Stade final
Ce glissement alimente les discours qui prétendent que nous subissons déjà une démocratie illibérale. Or il ne faut pas tout confondre. « L’ensemble du fonctionnement de Macron est autoritaire. Mais cela n’en fait pas un régime autoritaire, tient à préciser Olivier Cahn. Il faut revenir aux caractéristiques d’une démocratie illibérale*, qui s’en prend majoritairement à deux institutions : la justice et la presse. Or elles ne sont pas affectées en France. Certes, nous avons le problème du budget ou de la désignation du parquet, mais ça ne date pas de Macron. De même pour la presse : la concentration des médias n’est pas de son fait. »
Pour Nicolas Lebourg, chercheur spécialiste des extrêmes droites, Emmanuel Macron ne peut pas être taxé d’illibéral. « Son mépris des corps intermédiaires ou des syndicats ne l’a jamais mené à mettre en cause les modalités de l’État de droit. Alors que c’est le programme même de Marine Le Pen, explique-t-il. Une part de l’alchimie macroniste est populiste. De même que sa structure électorale. Mais il est aussi le fruit de la décomposition de la Ve République. C’est un eurolibéral qui utilise tous les moyens constitutionnels, aussi bien pour matraquer les gilets jaunes, dissoudre tout ce qui bouge, que pour financer un “quoi qu’il en coûte”. » Pour le chercheur, « nous sommes au stade final de la Ve République ». L’amorce autoritaire que cette agonie a stimulée permettrait cependant à Marine Le Pen d’instaurer sans difficulté le régime illibéral qu’elle appelle de ses vœux. Un régime d’une violence inouïe.
Imaginons le Rassemblement national prendre la main sur le traitement policier des mouvements d’opposition. Le décret du 22 décembre 2020 permet en effet de ficher les orientations politiques, sexuelles, syndicales de tout opposant. Que dire des lois dérogatoires en matière de terrorisme et d’état d’urgence ? En décrétant l’état d’urgence en 2005, à la suite des émeutes dans les quartiers populaires, Dominique de Villepin a créé un précédent. Depuis, toute crise justifie le déclenchement de ce régime exceptionnel. « Si l’extrême droite passe, on peut imaginer que ça va coincer dans les quartiers populaires et on ne pourra pas lui reprocher de mettre en œuvre l’état d’urgence », prévient Olivier Cahn. Le régime lui donnera les coudées franches.
Cela s’ajoute à un arsenal antiterroriste extrêmement problématique : « La notion même de terrorisme est définie de manière suffisamment floue pour être étendue à toute forme de subversion politique, poursuit Olivier Cahn. Le législateur est responsable de cet état de fait, mais aussi les juges : la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 janvier 2017 relatif à l’affaire de Tarnac, questionnée sur la distinction entre terrorisme et violence politique, a refusé de trancher. » « Ce qui définit le terrorisme, c’est surtout la décision du parquet national antiterroriste de s’autosaisir. » C’est donc une décision du procureur. « Or, si l’extrême droite passe, elle aura le pouvoir de nomination sur le parquet. » Et sera ainsi libre de désigner qui est terroriste et qui ne l’est pas.
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