« L’Hypothèse démocratique. Une histoire basque », Thomas Lacoste : Le sentier de la paix

Le documentariste Thomas Lacoste retrace l’histoire du mouvement armé basque ETA et son lent cheminement vers une solution pacifique. Malgré la poursuite de la répression par Paris et Madrid…

Olivier Doubre  • 19 avril 2022 abonnés
« L’Hypothèse démocratique. Une histoire basque », Thomas Lacoste : Le sentier de la paix
© Nour Films

Après soixante ans de lutte armée, d’abord contre la dictature de Franco puis, à partir de 1975 et la mort de ce dernier, contre une monarchie parlementaire espagnole, la voie du dialogue démocratique au Pays basque peut-elle être une « hypothèse », envisageable, plausible ? Après des décennies de violences, d’exécutions, d’enlèvements, d’emprisonnements et de tortures, comment emprunter désormais le chemin pacifique de la confrontation démocratique, une fois les armes déposées, rendues même, après avoir décidé de les faire taire ?

L’Hypothèse démocratique. Une histoire basque, Thomas Lacoste, 2 h 20.

C’est toute la difficulté qu’ont dû affronter les responsables et militants basques de l’organisation « politico-militaire » ETA, indépendantiste et socialiste, fondée en 1958, lorsqu’ils ont décidé son autodissolution, le 3 mai 2018, après avoir mis fin « unilatéralement » à la lutte armée le 20 octobre 2011 et rendu leurs armes dès le 8 avril 2017. Puisqu’on sait qu’il est bien plus facile d’entamer un affrontement armé que de le terminer.

La grande réussite de ce film, L’Hypothèse démocratique. Une histoire basque, est de restituer ce long demi-siècle de lutte armée et surtout son contexte historique (et géographique) en parvenant à rendre compte de la complexité des choix et des enjeux politiques, des erreurs aussi, parfois. Son réalisateur, Thomas Lacoste, nous est connu de longue date. Il fut d’abord l’un des fondateurs, dans les années 1990, de l’excellente revue littéraire puis maison d’édition (bordelaises) Le Passant ordinaire, avant de devenir un documentariste engagé, auteur de plusieurs films de qualité donnant la parole à des intellectuels critiques. Même si, pour la plupart d’entre eux, leur forme empruntait souvent à de classiques entretiens face caméra, ce dernier long-métrage n’y échappant pas non plus.

Pourtant, sans doute du fait de son sujet, retraçant cette « histoire basque » marquée par plus d’un demi-siècle d’attentats, d’exécutions et d’arrestations très souvent suivies de tortures (de la part des forces de police espagnoles), ce film n’est pas sans relater une tension historique particulière. Une scène frappe d’emblée le spectateur : celle du dialogue entre la veuve de Joseba Goikoetxea, policier basque tué par l’ETA le 22 novembre 1993 à Bilbao, et la fille de Xavier -Galdeano, « etarra » exécuté le 30 mars 1985 à Saint-Jean-de-Luz par le tristement célèbre Groupe antiterroriste de libération (GAL), constitué de barbouzes, mis sur pied par le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez durant la première moitié des années 1980, qui tua froidement nombre de militants indépendantistes armés basques, généralement sur le sol français, avec l’approbation tacite de Paris, donc de François -Mitterrand, alors à l’Élysée…

Leurs échanges illustrent finalement l’évolution délibérée pour tenter de dépasser, de chaque côté, un affrontement qui débuta par la mort de 50 000 Basques durant la guerre civile espagnole (1936-1939) et l’exil de 200 000 d’entre eux, suivi par quarante ans de franquisme, entre « silence et obscurité ». Les Basques, comme le souligne l’un des militants interrogés, étaient alors « autant réprimés en tant que peuple qu’en tant que classe », leur langue étant même interdite dans l’espace public… À côté d’un mouvement nationaliste basque traditionnel, catholique et conservateur, naît à la fin des années 1950 une organisation « politico-militaire », l’ETA, ouvertement « révolutionnaire, socialiste, de gauche ». Dont la première action d’ampleur fut l’attentat réussi, le 20 décembre 1973, contre l’amiral Carrero Blanco, cacique du régime franquiste et successeur officiel du caudillo.

S’il fut souvent reproché à l’ETA, y compris dans les rangs de la gauche, de ne pas avoir cessé ses actions armées après le retour à la démocratie en Espagne, on voit, à travers de nombreux témoignages, combien les services de sécurité espagnols, au premier rang desquels la très crainte Guardia Civil, conservent leurs vieilles habitudes de torture et de répression plus que musclée, prolongeant ainsi une longue tradition fasciste et paramilitaire datant des années 1930. S’ensuit un long cycle d’attentats et de répression, allant jusqu’à la torture de journalistes de titres rédigés en basque…

Mais la partie sans doute la plus passionnante du film est celle documentant le patient processus d’abandon de la lutte armée décidé par l’ETA, jusqu’à son « auto-dissolution ». Un processus qui, en dépit de la poursuite de la répression de la part des États espagnol et français, suscite l’admiration et le soutien d’associations de la société civile (comme Bake Bidea, « le Chemin de la paix ») et de personnalités respectées, de Gerry Adams (ancien dirigeant du Sinn Fein, qui a coconduit le cheminement très similaire mettant fin au conflit nord-irlandais) à l’ancien ministre français de l’Intérieur Pierre Joxe ou l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan.

Le processus de paix en marche au Pays basque, pas encore complètement abouti, s’est engagé « malgré tout », avec la conférence d’Aiete, où l’ETA, à San Sebastian en octobre 2011, a déclaré, seule, la fin de ses actions militaires. Le film de Thomas Lacoste retrace ce changement d’époque qui voudrait ouvrir vers celle où les armes se taisent définitivement.

Cinéma
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