Montreuil : bras de fer entre sans-abri et la mairie
Depuis trois jours, des dizaines de personnes campent devant la mairie de Montreuil pour exiger du maire un arrêté anti-expulsions, à la veille de la fin de la trêve hivernale.
C’est une blague ! On est dans une mairie communiste, avec neuf élus La France insoumise, et on se croirait en Macronie », lâche Thomas, résidant du squat EIF. Cela fait deux heures qu’il occupe le hall de la mairie de Montreuil (93) avec une vingtaine d’autres résidents d’habitats abandonnés ou de lieux désaffectés et des militants de l’Association des mal-logés pour parler à un élu, et demander un rendez-vous pour établir un arrêté anti-expulsions, qui protégerait les centaines de personnes menacées par la fin de la trêve hivernale.
La Seine-Saint-Denis détient le record du nombre d’expulsions locatives en France, et le taux de pauvreté atteint 25 % en 2019 à Montreuil. En raison de la gentrification, de l’envol des loyers via la spéculation immobilière et des années d’attente pour obtenir un logement HLM, une population grandissante occupe des logements vacants, voire des locaux désaffectés, pour ne pas dormir dans la rue.
Long combat
L’Association des mal-logés et les habitants des squats se rassemblent depuis des années devant la mairie lors des conseils municipaux, pour demander des arrêtés anti-expulsions. Face à eux, Patrice Bessac, maire communiste (PCF), applique la méthode de l’expulsion, sans proposition de relogement. « Le marqueur entre la droite et la gauche, c’est le dialogue social, déclare Fahima, âgée de 59 ans, ancienne habitante du squat de l’Ermitage, une maison vacante appartenant à la ville. Pourtant, depuis trois ans, ils ont refusé toute médiation pour faire un bail précaire, le temps qu’ils aient un projet pour le lieu. »
Le 30 mars, ils étaient à nouveau une trentaine, rassemblés sous un chapiteau de fortune, à se tenir devant la mairie, essayant d’ignorer la dizaine de policiers et les voitures déployées autour de la place à quelques mètres d’eux. Le lendemain, après avoir enduré le froid, la pluie et reçu une amende pour avoir installé des barnums, les militants déposent officiellement une requête pour une demande de rendez-vous avec le maire.
Rendez-vous le 5 avril
Le 1er avril, l’urgence de leurs revendications a eu raison de leur immobilité. Après deux heures d’attente dans un hall désert, les militants se massent à l’entrée du bâtiment, brandissant une banderole « Assemblée des mal-logés » et faisant entendre avec force leurs revendications. Au bout de cinq minutes de vacarme, le directeur de cabinet du maire, Gautier de Mollière, descend à leur rencontre.
D’emblée, il affirme ne pas avoir eu connaissance de la requête déposée la veille, ni des revendications portées sur la place depuis mercredi. « On a eu connaissance du rassemblement via les réseaux sociaux. On pensait plutôt que votre évènement était pour informer les gens sur l’idée d’un arrêté anti-expulsions », déclare-t-il. En poste depuis juin 2020, il « ne croit pas avoir déjà reçu de demandes de rendez-vous pour un arrêté anti-expulsions depuis [sa] prise de poste. » Il affirme aussi « ne pas avoir demandé l’évacuation de la place » tandis qu’un militant lui répond « l’enlèvement des barnums et de l’électricité, alors qu’il neigeait, c’est la mairie qui l’a demandé, les policiers nous l’ont dit ».
Lorsque les militants dénoncent l’absence de réponse de la mairie, l’élu affirme « qu’on n’expulse personne sans avoir fait le maximum pour les reloger ». Une réponse insuffisante pour Fahima, qui réside dans le squat La Baudrière : « Je ne vis plus dans la peur, mais dans la survie ».
Les deux parties conviennent finalement d’un rendez-vous le 5 avril en début d’après-midi, avec l’élu au logement, Stephan Beltran. À l’ordre du jour, une discussion sur un arrêté anti-expulsions et sur les situations individuelles. Les militants insistent néanmoins sur le fait qu’ils demandent un soutien général, et pas seulement pour ceux qui représenteront l’assemblée des mal-logés.
Lorsque les militants évacuent les lieux, le directeur de cabinet, mal à l’aise, s’explique sur la position de la municipalité : « Nous n’avons pas souhaité ouvrir le sujet d’un arrêté anti-expulsions en interne, parce que d’un côté il y a les locataires des parcs sociaux, que l’on aide déjà. Et de l’autre, les squatteurs, pour qui ce mode de logement est parfois une position politique. Si l’on prend un arrêté anti-expulsions, c’est pour les deux cas. Or parmi les squats, certains n’appartiennent pas à la mairie, d’autres comme EIF sont pollués. C’est complexe. Ils ont le droit de venir manifester, mais nous avons le droit de ne pas accéder à leurs demandes. »
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