Elaine Brown : Vie d’une révolutionnaire
L’autobiographie d’Elaine Brown retrace le parcours d’une militante des Black Panthers. Tout en engagement, sacrifice et subissant la domination masculine.
dans l’hebdo N° 1707 Acheter ce numéro
Le Black Panther Party est l’une des composantes de ces mouvements africains-américains qui, ces vingt dernières années, ont été investis par les cultures marchandes, et en particulier Hollywood. En 2018, BlacKkKlansman, de Spike Lee, introduisait, au milieu de l’enquête policière qu’il suivait, quelques scènes de réunions incluant le mouvement. Plus tôt, en 2013, Lee Daniels évoquait déjà l’organisation dans Le Majordome et, plus récemment, Judas and the Black Messiah, de Shaka King, s’intéressait au meurtre, le 4 décembre 1969, de l’activiste de Chicago Fred Hampton, rendu possible via une infiltration du FBI. Avec ces trois films, les Black Panthers ont confirmé la mutation de leur perception. Il s’agit désormais de la catégoriser en une image d’Épinal du militantisme Black Power, facilement récupérable, sur fond de coupes afro, de vestes en cuir et de discours révolutionnaires peu explorés (bien qu’à ce titre Judas and the Black Messiah s’en tire bien mieux que ses prédécesseurs).
Pourtant, au-delà des clichés, le Black Panther Party s’affiche comme l’un des mouvements les plus complexes du militantisme africain-américain. Auteur de discours et d’alliances politiques parfois fluctuants mais toujours fondés sur une analyse précise des réalités américaines et sur une vision globale des conditions noires et prolétaires, il est aussi le créateur d’une réflexion élaborée, à la fois intellectuelle et empirique, sur la figure du révolutionnaire et sur son rôle concret dans la société. L’autobiographie d’Elaine Brown, Comme un goût de révolution, est en ce sens une lecture riche, tant elle permet de plonger à l’intérieur des Black Panthers et de suivre une trajectoire de militance qui dut faire face à ses peurs, se forger à la rhétorique de la révolution et se positionner à l’intérieur d’un mouvement attaqué de toute part, aussi bien par la police que par les autres groupes constituant le champ politique d’alors.
On y suit Elaine Brown depuis son enfance dans les quartiers nord de Philadelphie, où, grâce à ses aptitudes, elle put accéder à un établissement multiracial. Elle raconte ses relations avec sa mère, l’abandon de son père, un Africain-Américain fortuné du quartier de Germantown, et son amitié avec une élève juive. Puis, on la retrouve à l’université Temple, qui n’était pas à l’époque le bastion des Black Studies qu’elle deviendra, et dans sa fuite vers Los Angeles, où des rencontres l’introduisent au socialisme. Dans un chapitre crucial intitulé « Devenir noire », Elaine Brown conte ensuite la transition qui l’amena à prendre conscience de son identité raciale et des passerelles possibles entre le socialisme, la révolution et la lutte pour les Noirs. Elaine Brown devient militante des Black Panthers et rapidement côtoie les têtes pensantes du mouvement, Eldridge Cleaver, Bobby Seale et, lorsqu’il sortira de prison, Huey P. Newton. Elle décrit les relations entre le marxisme et le mouvement, marxisme dont les militants affirment se dégager en valorisant une partie du prolétariat qu’ils jugent trop absentes chez Marx, les classes rurales, les petits employés mais aussi les malfrats qui peuplent les quartiers noirs. Elle décrit aussi les rapports entre hommes et femmes, et son incapacité à percer l’idéologie machiste qui étouffe le mouvement, surtout lorsque, après l’exil de Huey P. Newton, elle en prendra la tête.
Elaine Brown souligne avec force les contradictions d’une organisation qui demandait à ses membres féminins un total dévouement, tout en chérissant l’idée d’un révolutionnaire mâle, dont l’image essentiellement dominatrice suffisait à justifier le traitement violent réservé aux militantes. Ce traitement poussera Elaine Brown à quitter les Black Panthers, et il faudra attendre les années 2000 pour qu’enfin des travaux universitaires mettent l’accent sur les nombreuses femmes qui ont fait ce parti. L’autobiographie d’Elaine Brown apporte un témoignage décisif sur cet état de fait en donnant à voir l’expérience d’une femme Panther, dans son quotidien et ses réinventions.
Comme un goût de révolution. Autobiographie d’une Black Panther, Elaine Brown, traduit de l’anglais (États-Unis) par G., Syllepse, coll. « Radical America », 496 pages, 25 euros.