Nupes : Un programme économique rigoureusement radical
Face à ses détracteurs, la Nupes a des arguments chiffrés à opposer : oui on peut bloquer les prix de certains produits et financer des mesures ambitieuses de justice sociale.
dans l’hebdo N° 1705 Acheter ce numéro
Une « soviétisation » de la France, selon l’institut Sapiens, une « Bérézina idéologique, autoritaire et étatiste », pour le député Modem Jean-Louis Bourlange. Dans sa version minimale reprise dans le cadre de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) – Smic à 1 400 euros, retraite à 60 ans, allocation d’autonomie jeune – et plus encore dans sa version maximale développée par l’Union populaire pendant la présidentielle, le programme économique de la gauche fait figure d’épouvantail.
Il est certes radical, assument ses rédacteurs. Parce que l’urgence écologique et sociale l’impose et qu’il matérialise « un basculement complet de politique », selon Éric Berr, économiste à -Bordeaux et membre du -Parlement populaire mis en place par La France insoumise. En instaurant un « gouvernement par les besoins », cette politique veut mettre l’économie au service de la réduction des inégalités, à contre-pied de la politique de l’offre qui parie sur la croissance et le ruissellement des richesses.
« Il n’y a aucune mesure qui, prise individuellement, nous fasse sortir du capitalisme, tempère l’économiste à l’université Paris-I Michaël Zemmour, consulté comme relecteur sur certains pans du projet. Ce qui serait très ambitieux, c’est l’application de toutes ces mesures en même temps. Tout dépend donc du calendrier et de l’ordre des priorités qui sera choisi. »
Cette politique met l’économie au service de la réduction des inégalités.
Deux griefs récurrents se distinguent. Pour Patrick Artus, économiste pour la banque Natixis et (sans surprise) très critique envers un programme qu’il juge « idéologique », le gel des prix des produits de première nécessité et l’encadrement des loyers enfreindraient « les lois » de l’économie de marché : « Avec des prix bloqués en période d’inflation, l’investissement s’arrête, faute de rentabilité, ce qui engendre des pénuries. » L’Union populaire répond en partie à cette objection en avançant une « caisse de péréquation » qui aiderait les petites entreprises grâce à une taxe sur les surprofits des grosses. « Les prix bloqués ou contrôlés, cela existe déjà avec le tarif réglementé d’EDF, complète Éric Berr. Cela permet de freiner la spéculation qui se développe lorsque les prix augmentent. Et si nous ne faisons rien, les gens ne pourront de toute façon plus consommer, ce qui finira par pénaliser les entreprises. »
L’autre grief favori des détracteurs du programme de la Nupes, c’est son financement. L’Institut Montaigne, groupe de réflexion néolibéral, estime à 331 milliards d’euros les dépenses publiques non financées et agite un risque pour la « souveraineté » de la France si le déficit devait exploser. Ce grand classique de l’argumentaire néolibéral, non moins idéologique que la politique qu’il combat, a été affaibli par les vastes plans de sauvetage et de relance de l’économie lancés durant la pandémie et financés par l’emprunt. Les économistes hétérodoxes entendent également s’affranchir du carcan de la dette publique, qui fixe un horizon court-termiste aux finances publiques. La question du financement interroge néanmoins certains économistes de gauche : « Les mesures alignées sont très coûteuses et risquent de nous mettre dans une situation délicate », s’inquiète ainsi Henri Sterdyniak.
Un effort particulier a pourtant été effectué par une kyrielle d’économistes et de sociologues rédacteurs du programme de l’Union populaire pour exposer son chiffrage (1). Côté dépenses, celle-ci avance 250 milliards d’euros supplémentaires par an, ce qui représente un budget de l’État en hausse de 18 %. À mi–chemin, selon leurs chiffres, entre ce qu’a réalisé Nicolas Sarkozy (+ 15 %) et ce que prévoit Joe Biden en 2022 (+27 %).
Côté recettes, plusieurs leviers sont activés, comme la lutte contre l’évasion fiscale et une « révolution fiscale » qui rendrait l’impôt plus progressif, sur le revenu, sur le patrimoine et pour les entreprises. En plus du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de la suppression de la « flat tax », seules mesures fiscales figurant à l’accord fondateur de la Nupes. Thomas Piketty, défenseur invétéré d’une réforme fiscale, valide : « Le programme fiscal de La France insoumise me semble très sérieux. C’est une excellente chose de transformer la taxe foncière en un impôt progressif sur le patrimoine net, en lien avec la réintroduction de l’ISF. Cela permettra d’alléger la taxe foncière pour des millions de Français des classes populaires et moyennes. »
L’investissement public crée de la croissance et génère donc des recettes fiscales.
C’est aussi l’argument des rédacteurs du programme contre le prétendu « matraquage fiscal », abonde Éric Berr, car cette réforme ne toucherait que 8 à 10 % des Français les plus riches.
Le point nodal, en matière de financement, se situe néanmoins dans l’évaluation de l’effet d’entraînement que les dépenses produiraient. Il est admis que l’investissement public, en boostant la consommation et l’emploi, crée de la croissance et génère donc des recettes fiscales. Grâce à ce cercle vertueux et à ses nouveaux impôts, l’Union populaire compte sur 267 milliards d’euros de recettes supplémentaires, pour 250 milliards de dépenses nouvelles. Le compte est bon !
Quel crédit apporter à ces projections macroéconomiques ? Les rédacteurs du programme ont utilisé des modèles de la Banque de France, qui permettent d’évaluer l’impact d’une politique en y ajoutant des aléas, en se basant sur une hypothèse de croissance de 2,7 % par an, en moyenne, sur 5 ans. L’exercice comporte ses limites, concède Michaël Zemmour, mais il « n’est pas différent de ce que font tous les gouvernements au moment de bâtir un budget. L’Union populaire a produit le plus abouti des programmes, mais cela n’enlève pas l’incertitude de gouverner ».
Ce qui est notamment incertain, c’est la réaction des acteurs économiques : fuite des capitaux, hausse des taux d’intérêt, investisseurs peu allants, mais aussi et surtout dépendance aux produits importés, qui dégraderait fortement la balance commerciale… Un gouvernement d’union de la gauche aurait à affronter des vents contraires.
L’Union populaire s’y prépare. « Nos arguments sont majoritaires dans les secteurs concernés, défend Hadrien Toucel, corédacteur du programme économique et social, interrogé par l’Association des journalistes de l’information sociale. On s’appuie sur les syndicats plutôt que sur le patronat, et une partie des petits patrons seront avec nous parce qu’ils y ont intérêt », résume-t-il.Ce qui ferait selon lui la différence, c’est « l’intervention populaire », par une participation citoyenne, partout où c’est possible.
(1) Une émission de trois heures diffusée sur YouTube le 12 mars a été consultée près de 900 000 fois.