Un gouvernement (presque) sans importance
Cette séquence d’avant législatives remet en perspectives le vide idéologique qui caractérise décidément l’ère Macron. Vide idéologique ? Pas tout à fait cependant. Il s’agit de sauver un pouvoir fort et concentré au profit d’une politique libérale.
dans l’hebdo N° 1707 Acheter ce numéro
En politique, comme au cinéma, le casting est un art délicat. Il ne suffit pas d’attirer le chaland avec une belle affiche si le scénario est médiocre. Hélas, la longue séquence de formation du nouveau gouvernement cumule à peu près toutes les erreurs possibles dans ce genre d’exercice, aussi bien pour le 7e art qu’en politique. Changement de dernière minute de la tête d’affiche, faute de goût, incohérences et inconséquences… C’est tout cela que le spectacle des derniers jours nous a donné à voir. L’époque commandait qu’une femme entre enfin à Matignon, trente ans après Édith Cresson. Nous savons maintenant que ce n’est pas Élisabeth Borne qui avait été initialement choisie, mais la très droitière Catherine Vautrin. Ce n’est, paraît-il, que le dimanche soir, veille de la nomination, que l’entourage d’Emmanuel Macron s’est avisé que l’ancienne ministre de Chirac avait été très active dans le combat contre le mariage pour personnes de même sexe. Une homophobe à Matignon, cela présentait mal ! Changement de tête, donc, à la dernière minute. La faute de goût, c’est évidemment la nomination de Damien Abad, et plus encore, son maintien en poste après les révélations de Mediapart. La prise de guerre était belle. Las, le président du groupe LR à l’Assemblée avait de vilaines affaires d’agressions sexuelles présumées dans son CV. Sans préjuger de la suite, il est trop évident que Damien Abad ne peut rester au gouvernement. Il paraît que le Président résiste contre l’avis de la Première ministre. Encore une incohérence en regard des principes affichés ! Si bien qu’en quelques jours la glorieuse prise de guerre est devenue un encombrant mistigri.
Et puis, bien sûr, on s’est interrogé sur le sens de la nomination de Pap Ndiaye à l’Éducation nationale, incontestable vedette de l’affiche gouvernementale. Comment Emmanuel Macron a-t-il pu choisir cette personnalité, par ailleurs remarquable, mais qui contredit par son discours tout ce que le premier quinquennat a défendu ? Pour percer ce mystère, même Machiavel ne nous est d’aucun secours… À moins que la réponse soit aussi simple que politicienne. Peu soucieux de cohérence idéologique, le Président tente juste de brouiller les pistes alors que la gauche apparaît désormais comme la principale menace pour les prochaines législatives. L’explication réside dans les sondages qui font apparaître une dynamique en faveur des listes de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, qui flirtent avec les 195 sièges, en attendant mieux peut-être, au lieu d’une soixantaine dans la précédente mandature (1). Pap Ndiaye devrait, à son insu, jouer les utilités contre la gauche. Un peu naïvement sans doute, Macron espère désarmer la Nupes, et mettre en évidence l’ignominie raciste de l’extrême droite. Sur ce dernier point au moins, c’est déjà réussi.
Mais le pari est doublement risqué. D’abord parce qu’il n’est pas du tout certain que le nouveau ministre soit homme à se laisser circonvenir. Ensuite, parce que cela ne dit rien de ce qui constitue la principale préoccupation des enseignants. Quid de leurs salaires ? Des effectifs ? De leurs retraites ? Qu’en sera-t-il de Parcoursup qui donne à d’insondables algorithmes le pouvoir de décider de l’avenir des bacheliers ? Autant Pap Ndiaye semble armé pour résister aux croisades contre le « séparatisme », « l’islamo-gauchisme », et même le « wokisme » – ce concept devenu un gros mot en traversant l’Atlantique –, autant il risque d’être démuni sur la question sociale si les moyens ne lui sont pas donnés. Il peut tisser des liens d’humanité et d’intelligence avec ses « collègues », comme il l’a montré lors d’une première sortie émouvante au lycée de Conflans-Sainte-Honorine, qui fut celui de Samuel Paty. Mais la déception risque d’être grande si la politique ne suit pas. On imagine que ce détail ne lui a pas échappé. De plus, le nouveau ministre est connu pour son engagement en faveur d’une politique d’accueil plus humaine des immigrés, et il n’a jamais mâché ses mots contre les contrôles au faciès et les violences policières. Le voisinage avec Gérald Darmanin risque d’être délicat.
Sur un mode mineur, on pourrait encore citer la nomination de Catherine Colonna au Quai d’Orsay. Quoi que l’on pense des engagements politiques de cette femme, pur produit du sérail, on imagine mal qu’elle approuve le mauvais sort qui est réservé à son administration. En 2017, un rapport parlementaire estimait à 40 % la réduction des effectifs du ministère rien que sur la zone Afrique-océan Indien au cours des dix dernières années. C’est en fait toute notre diplomatie qui est en déclin au profit d’une conception « militarisée » des relations extérieures. D’apparence administrative, cette évolution procède en réalité de choix politiques périlleux. On négocie moins et on guerroie plus. La ministre peut-elle s’inscrire dans cette logique ?
Au chapitre des inconséquences, il faudrait encore citer les deux grands absents du casting : le logement et le transport.
Cette séquence d’avant législatives remet en perspectives le vide idéologique qui caractérise décidément l’ère Macron. Le paradoxe, c’est que l’homme ne déteste pas le débat d’idées et qu’il peut s’y montrer habile. Mais comme dans un jeu de rôle où les postures seraient interchangeables. Vide idéologique ? Pas tout à fait cependant. Il s’agit de sauver un pouvoir fort et concentré au profit d’une politique libérale. Tout le reste est sans importance. Mais n’est-ce pas l’exacte définition du néolibéralisme ?
(1) Sondage Ipsos-Sopra Steria (Le Monde du 24 mai).
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