Une palme d’or en trompe-l’œil
Triangle of Sadness, de Ruben Östlund, qui remporte la récompense suprême, n’est en rien un film dérangeant.
Disons-le ainsi : le jury présidé par Vincent Lindon est tombé dans tous les pièges qui se trouvaient sur son parcours cannois. Notamment en ce qui concerne les prix les plus importants de son palmarès. Alors que James Gray, Albert Serra, Valeria Bruni-Tedeschi, Kelly Reichardt, Kirill Serebrennikov ou David Cronenberg repartent bredouille.
Palme d’or : Triangle of Sadness (titre français : Sans filtre), de Ruben Östlund. Östlund est aux antipodes d’un Buñuel ou d’un Ferreri. Sa fausse subversion est celle d’un petit malin misanthrope, chez qui les riches dégurgitent leur trop-plein tandis que les pauvres, terroristes ou femme de ménage frustrée, sont des assassins. Le film donne une bonne secousse à l’ordre établi, mais l’état des choses, à l’arrivée, reste à l’identique.
Grand Prix : Close, de Lucas Dhont ; Stars at Noon, de Claire Denis. Le film de Claire Denis, dont les tenants et les aboutissants de l’intrigue ne sont pas toujours évidents, est surtout marqué par son personnage féminin, jeune femme à la fois fantaisiste, amoureuse et perdue dans un Nicaragua hostile, interprétée par Margaret Qualley. La délicatesse de Close confine à la joliesse, ce qui est un peu gênant quand on raconte l’histoire du suicide d’un jeune adolescent.
Prix de la mise en scène : Park Chan-Wook, pour The Decision to Leave. Ce prix récompense un cinéaste tellement maître de son art que son film est gagné par un excès de virtuosité, voire de maniérisme, pour raconter l’histoire linéaire et répétitive d’un flic tombant amoureux de sa principale suspecte.
Prix du soixante-quinzième anniversaire : Tori et Lokita, de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Un prix de bon aloi pour un film nécessaire. Luc Dardenne a eu la bonne idée, lors de la cérémonie de clôture, de dédier son prix à Stéphane Ravacley, le boulanger de Besançon qui a réussi à faire régulariser son apprenti guinéen menacé d’expulsion au terme d’une grève de la faim.
Prix du Jury : Les Huit montagnes, de Felix van Groeninger et Charlotte van der Meersch ; Hi-Han (EO), de Jerzy Skolimovski. Une aberration. L’un des films les plus conformistes, les plus banals de la compétition, et l’un des plus stupéfiants, des plus libres. Au moins, Hi-Han obtient un prix.
Prix d’interprétation masculine : Song Kang Ho, pour son rôle dans Broker, de Kore-Eda Hirokazu. L’acteur coréen était déjà formidable dans Parasite, de Bon Joon-Ho, palme d’or en 2019. Il est rayonnant en patron d’un pressing habitué à faire du trafic d’enfants qui se transforme en protecteur d’une femme ayant commis un meurtre et de son bébé, dont elle désire se séparer.
Prix du scénario : Tarik Saleh, pour Boy from Heaven. L’intrigue se déroule dans la grande université Al-Azhar du Caire, où un étudiant a été tué. Il y a un côté « Le Nom de la rose » dans ce film : trop centré sur l’enquête policière et pas assez sur l’apprentissage du savoir religieux du jeune héros (sans doute plus difficile à mettre en scène) qui pourtant est déterminant dans la résolution finale.
Prix d’interprétation féminine : Zar Amir Ebrahimi, pour son rôle dans Holy Spider, d’Ali Abassi. Zar Amir Ebrahimi interprète une journaliste, déterminée, bien plus que la police, à découvrir le meurtrier en série de prostituées dans la ville sainte de Masshad, en prenant tous les risques. La comédienne est sobre et convaincante.
Je reviendrai plus en détail sur cette édition 2022 dans l’hebdo à paraître jeudi. En attendant, je remercie celles et ceux qui ont eu l’obligeance de suivre cette chronique cannoise, et plus particulièrement celles et ceux qui m’ont fait un signe amical en cours de route.
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