Une philosophie de la vie pour les prochains siècles
Pour Finkie, un·e enfant de 13 ou 15 ans n’est pas forcément un·e enfant de 13 ou 15 ans.
dans l’hebdo N° 1708 Acheter ce numéro
Il est plus que temps de réparer ici une longue injustice et de dire enfin, haut et fort, l’apport (scandaleusement sous-estimé) d’Alain Finkielkraut à la Philosophie majuscule. En l’espace d’un petit quart de siècle, ce somptueux penseur a en effet popularisé ou produit plusieurs concepts primordiaux, dont il faut se désoler que seules les chaînes dites « d’information » et la presse réactionnaire (où il a dans chaque rédaction un siège tournant à son nom) daignent les regarder pour ce qu’ils sont.
On lui doit ainsi une conséquente contribution à la vulgarisation de la fantasmagorie complotiste et raciste du « grand remplacement » chère à son cher « ami » Renaud Camus (1), et qui depuis une décennie inspire des néofascistes : c’est ainsi qu’il – Finkielkraut, donc – déplorait il y a peu (2) que « Jean-Luc Mélenchon mise sur le grand remplacement pour accéder au pouvoir ».
Mais, surtout, Finkie, comme on l’appelle parmi ses potes, est l’inventeur de ce miracle conceptuel dont les encyclopédistes des prochains siècles ne manqueront pas de s’émerveiller (si du moins il y a une justice) : le cenétaitpasun(e)enfantisme – qui postule qu’un·e enfant de 13 ou 15 ans n’est pas forcément un·e enfant de 13 ou 15 ans (mais bien plutôt un·e adolescent·e) lorsqu’iel est victime d’une agression sexuelle ou d’un viol, mais que lorsqu’elle s’émeut du dérèglement climatique, Greta Thunberg, âgée de 16 ans, doit en revanche être considérée, quant à elle, comme une enfant, et non comme une adolescente. (Et qu’il conviendrait par conséquent de lui demander de fermer sa toute petite gueule prépubère, finis ta soupe, sale gosse, et va te coucher pendant qu’on parle entre adultes.)
C’est ainsi que Finkie, depuis 2009, a successivement expliqué au monde : petit un, qu’une victime de Roman Polanski, âgée de 13 ans lorsque ce cinéaste lui a imposé une relation sexuelle, n’était alors « pas une enfant », mais « une adolescente ». Petit deux, que Greta Thunberg, initiatrice des grèves scolaires pour le climat, était à ce moment-là « une enfant de 16 ans, évidemment malléable et influençable ». Petit trois, que « le cas Springora », du nom de l’éditrice Vanessa Springora, tombée à l’âge de 14 ans sous l’emprise de Gabriel Matzneff, n’était « pas un cas de pédophilie », car « une adolescente et un enfant, ce n’est pas la même chose ». Puis enfin, petit quatre, que, « d’abord », la victime de 14 ans du politologue Olivier Duhamel était « un adolescent », et que ce n’était pas du tout « la même chose » que s’il s’était agi d’un « enfant » malléable et influençable comme, disons, Greta Thunberg.
Mais le plus beau, dans cette philosophie de la vie, est qu’elle couvre aussi de son manteau de bienveillance des agressions présumées entre adultes – et que Finkielkraut, sous son sceau, a également pris la défense de Dominique Strauss-Kahn en 2011, avant d’assurer, le 25 mai, que Damien Abad ne pouvait bien sûr « pas violer une femme ».
Le cenétaitpasun(e)enfantisme serait-il un humanisme ?
(1) C’est le 30 octobre 2017, rappelons-le, qu’Alain F. a expectoré, sur RCJ, une diatribe passionnée contre le « “remplacisme global” dénoncé à juste titre par Renaud Camus ».
(2) Sur Europe 1 (groupe Bolloré), le 10 mai dernier.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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