Vers une stagflation inédite ?
Il devient urgent d’augmenter les salaires et de rétablir leur indexation sur les prix.
dans l’hebdo N° 1705 Acheter ce numéro
Croissance nulle au premier semestre, inflation proche de 5 % en rythme annuel : la stagflation est-elle bientôt de retour ? L’inflation de la fin des années 1970 était provoquée par un choc pétrolier, doublé d’un choc salarial. Les entreprises augmentèrent leurs prix pour préserver leurs marges. Les salariés obtenaient mieux que l’indexation des salaires sur les prix et les gains de productivité. Les entreprises répondirent à nouveau par l’inflation. Les syndicats obtenaient à leur tour plus. Se forma une boucle prix-salaires se soldant par une érosion des revenus et du patrimoine des rentiers, et par une dégradation du taux de marge des entreprises. Bien que les causes de l’inflation ne fussent pas d’origine monétaire, contrairement à la thèse monétariste, les banques centrales resserrèrent leur politique monétaire. La hausse consécutive des taux d’intérêt est une cause majeure de la récession mondiale de 1982, à l’issue de laquelle la désinflation fut obtenue au prix d’une explosion du chômage.
En 2022, l’inflation liée à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine est également due à un choc sur les matières premières. Mais, à la différence des années 1970, elle ne s’accompagne aucunement (en France) d’une forte inflation salariale. Le rapport de force est devenu si défavorable aux syndicats que même la réduction du nombre de demandeurs d’emploi n’exerce plus de pression sur les salaires. Il en résulte une nouvelle dégradation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, dommageable pour le pouvoir d’achat.
Comme le disent les post-keynésiens, l’économie de la fin des années 1970 était en régime profit led (tirée par les profits). La baisse du taux de marge était alors réputée nocive pour l’investissement. La situation a, depuis, basculé en régime wage led (économie tirée par les salaires). En 2022, la part des salaires dans la valeur ajoutée est devenue trop faible pour, à court terme, soutenir la consommation populaire et, à long terme, inciter les entreprises à accroître leur stock de capital en prévision d’une demande potentiellement plus importante. Dans ce régime, les profits, reconstitués et historiquement élevés, sont principalement consacrés à rémunérer les actionnaires, dont la propension à placer leurs revenus en Bourse est forte.
Outre la relocalisation de l’industrie et l’extension du mix énergétique pour assurer notre souveraineté économique, il devient urgent d’augmenter les salaires et de rétablir leur indexation sur les prix. Le retour des coups de pouce au Smic et un fort relèvement du point d’indice dans la fonction publique s’imposent. Le Législateur peut enfin organiser une négociation interprofessionnelle sur les minima et hiérarchies de branches. Face à cette conjoncture et à ce type d’inflation, la Banque centrale européenne aurait pour sa part tort, comme elle l’a annoncé le 10 mars, de mettre fin à son programme de rachats de dettes et de relever prochainement ses taux d’intérêt.
Par Liêm Hoang-Ngoc Maître de conférences à l’université de Paris-I.
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