BHL et l’Ukraine : comparaison et déraison

Il faut grandement occulter l’histoire du bataillon Azov pour oser comparer la résistance des combattants de ce régiment ukrainien à la _« bravoure_ (…) _des résistants contre Hitler »_ .

Sébastien Fontenelle  • 9 juin 2022
Partager :
BHL et l’Ukraine : comparaison et déraison
© Photo : Défilé de membres du régiment Azov dans le centre de Kyiv à l'occasion du 78e anniversaire de la fondation de l'armée insurrectionnelle ukrainienne, le 14 octobre 2020 (STR / NURPHOTO / NURPHOTO VIA AFP).

Le 15 mai 2022, Le Journal du dimanche publie ce qu’il présente comme un « récit » exclusif de Bernard-Henri Lévy. Il s’agit, plus précisément, d’une interview, réalisé via _« un lien Zoom » et dont le philosophe précise qu’il la « résume », du « commandant en second du régiment Azov ». Cette unité est alors retranchée dans le complexe sidérurgique d’Azovstal à Marioupol, en Ukraine – ville qui n’est plus défendue, à ce moment-là, que par ces combattants sur lesquels s’abat un déluge de feu russe.

Le témoignage de cet officier est intéressant, pour ce qu’il restitue de la résistance héroïque des Ukrainiens victimes de l’odieuse agression que l’on sait. Mais il est regrettable que BHL prenne quelques libertés avec la réalité.

Il écrit, par exemple : « Je connais la réputation sulfureuse du bataillon. Je sais comment, à ses débuts, comme toutes les résistances du monde, il a ramassé tout ce qu’il pouvait et qui savait manier une arme – y compris des éléments d’extrême droite. » Problème : c’est doublement faux.

D’abord parce que « toutes les résistances du monde » ne ramassent pas « des éléments d’extrême droite » : l’exemple, parmi beaucoup d’autres, des YPG kurdes du Rojava, que le philosophe se targue pourtant de bien connaître, montre qu’il est, au contraire, tout à fait possible de se passer de leur renfort.

Ensuite, et plus gravement, parce que, contrairement à ce que suggère BHL, et comme l’a récemment rappelé Le Monde, le bataillon Azov a été fondé par le chef d’un parti _« xénophobe, antisémite et raciste », qui avait alors réuni autour de lui « une centaine de volontaires aux idées nationalistes et néonazies ». Il était, par conséquent, avant d’être intégré à l’armée ukrainienne à l’automne 2014, exclusivement constitué de ces fanatiques. Et c’est bien évidemment ce qui explique sa « réputation sulfureuse » – laquelle est donc, contrairement à ce que suggère le philosophe, et par-delà l’élargissement ultérieur de son recrutement, quelque peu justifiée.

Mais il est vrai aussi que ce n’est qu’au prix de cette occultation de la véritable histoire de ce régiment – au sein duquel, toujours selon Le Monde, « seule une minorité » de soldats « sont aujourd’hui portés par des idées d’extrême droite ou néonazies » – que BHL peut ensuite expliquer à son interlocuteur : « Pour un Français (…) votre bravoure rappelle celle des résistants contre Hitler. » Sur Twitter, il comparera aussi le bataillon Azov au groupe Manouchian, dont les membres ont été assassinés par les nazis en 1944.

On peut bien sûr se hasarder à de tels rapprochements, surtout si l’on est un philosophe connu pour tout oser : cela suppose toutefois d’oublier aussi que l’emblème du régiment Azov, choisi par son fondateur, est aujourd’hui encore le même, inversé, que celui de la division SS Das Reich, responsable notamment, en 1944, du massacre des 643 habitants d’Oradour-sur-Glane, en guise de représailles contre ceux qui étaient, eux, à l’époque, de véritables « résistants contre Hitler ».

Médias Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Aurel : « Charlie quand ça leur chante »
Presse 18 décembre 2024 abonné·es

Aurel : « Charlie quand ça leur chante »

Le 8 janvier, Aurel, longtemps dessinateur pour Politis, sort le livre Charlie, quand ça leur chante, avec cette question : dix ans après du drame de Charlie Hebdo, que reste-t-il de l’esprit Charlie ? Politis publie deux pages de cet opus qui questionne la place du dessin de presse et l’humour d’actualité.
Par Politis
À Gaza, une guerre contre les enfants, l’éducation et la santé
Monde 16 décembre 2024

À Gaza, une guerre contre les enfants, l’éducation et la santé

La guerre à Gaza a plongé la région dans une crise humanitaire sans précédent, où les enfants paient un lourd tribut. Privés de sécurité, d’éducation et de soins, ils grandissent dans un quotidien marqué par la violence et la privation, menaçant l’avenir de toute une génération.
Par Osama Albaba
Syrie : à Damas, l’espoir et l’incertitude de l’après Al-Assad
Reportage 11 décembre 2024 abonné·es

Syrie : à Damas, l’espoir et l’incertitude de l’après Al-Assad

La population exprime son soulagement depuis la libération de la capitale syrienne, le 8 décembre, après cinquante-quatre ans de domination de la famille Al-Assad. Dans une ambiance chaotique, l’euphorie et l’incertitude se mêlent aux découvertes macabres de la prison de Saidnaya. 
Par Hugo Lautissier
En Cisjordanie, l’accaparement des terres palestiniennes
Reportage 11 décembre 2024 abonné·es

En Cisjordanie, l’accaparement des terres palestiniennes

Alors que tous les yeux sont rivés sur Gaza, Israël a mis un coup d’accélérateur à son projet colonial. En 14 mois, les implantations se sont multipliées, des colonies ont été légalisées et la violence des colons reste impunie.
Par Alice Froussard