Ce que le RN doit au camp Macron
Au terme d’une campagne marquée par les attaques de la majorité contre l’union des gauches, l’extrême droite a réalisé un score tristement historique.
dans l’hebdo N° 1711 Acheter ce numéro
Les élections législatives de 2022 devaient être celles du retour de la polarisation de la vie politique française, avec deux camps bien distincts : la gauche, réunie sous le sigle Nupes, et la droite présidentielle, sous la bannière Ensemble !. Mais, alors qu’était attendue une victoire de l’un ou l’autre camp, le Rassemblement national a brisé son plafond de verre, récoltant 89 sièges à l’Assemblée nationale et s’imposant comme le premier groupe d’opposition.
En s’acharnant sur l’alliance de gauche pour protéger leur majorité, les macronistes ont déroulé le tapis rouge à l’extrême droite, anéantissant tout espoir de front républicain, dont Emmanuel Macron avait pourtant profité au second tour de l’élection présidentielle. Pour la première fois après un scrutin majoritaire organisé sous la Ve République, le RN pourra disposer d’un groupe parlementaire. Pendant la législature précédente, le parti de Marine Le Pen ne disposait que de 8 députés. Soit une progression de 81 sièges en cinq ans.
Pourtant, c’est bien l’alliance de gauche qui a été pointée du doigt dès sa formation. Élisabeth Borne le répète à qui veut l’entendre : « La Nupes ne porte pas les valeurs de la République. » Rebelote au soir du premier tour, où la Première ministre dénonce « une confusion inédite entre les extrêmes », renvoyant dos à dos l’extrême droite de Marine Le Pen et une gauche si extrême qu’elle rassemble des cadres socialistes, écologistes et même d’anciens députés LREM. Le même soir, la ministre-candidate Roxana Maracineanu ose l’impensable et appelle au « front républicain » contre la gauche. Le camp du Président finit par déclarer que les consignes de vote seront données « au cas par cas ».
Records de votes blancs ou nuls dans les circonscriptions où s’affrontaient la Nupes et le RN.
Le mal est fait. Dans les circonscriptions où s’affrontaient la Nupes et le RN au second tour on enregistre des records de votes blancs ou nuls. Jusqu’à 18 % des votants quand la moyenne nationale est de 7,64 %. Dans les 26 duels générant le plus de refus de choisir, 9 ont été gagnés par la Nupes, 15 par le RN. Dans les 63 duels qui les opposaient, le solde est positif pour le RN, qui a obtenu 33 sièges dans cette configuration. En diabolisant la Nupes, la majorité présidentielle a participé à l’acceptation des idées d’extrême droite. Preuve en est : dans ces duels, 72 % des électeurs d’Ensemble ! se seraient abstenus et 12 % auraient même voté à l’extrême droite, selon l’Ipsos.
Localement, la stratégie du cas par cas a été appliquée par les candidats LREM et affiliés, battus au premier tour. Sur les 63 circonscriptions concernées, seuls 16 d’entre eux ont pris position en faveur du candidat de gauche, afin de faire barrage au Rassemblement national. 16 autres ont timidement appelé à ne donner « aucune voix » à l’extrême droite. Les 29 derniers candidats déchus n’ont pas souhaité se prononcer ou, pire, ont appelé à combattre les idées de la Nupes, autant que celles de l’extrême droite. « C’est tout sauf LFI et le RN. Il n’y a pas de différence, c’est ni mieux ni pire », assurait Olivier Damaisin, candidat battu en Nouvelle Aquitaine.
Autre preuve de l’énergie déployée par les candidats de la majorité présidentielle pour mener campagne contre l’alliance de gauche : le cas d’Alexandre Freschi. Le député macroniste, candidat à sa réélection dans la 2e circonscription du Lot-et-Garonne, a décidé de maintenir sa candidature au second tour face aux candidats de la Nupes et du RN, malgré sa troisième place et le désaveu de son parti, qui réclamait son retrait pour faire barrage à l’extrême droite. Résultat, la candidate nationaliste a remporté le siège.
À gauche, les candidats dissidents portent aussi leur part de responsabilité dans la percée du parti de Marine Le Pen. Parmi eux, une majorité de socialistes soutenus par quelques éléphants du PS réfractaires à l’union. Leur candidature a empêché la gauche d’accéder au second tour et permis au RN de virer en tête dans 9 circonscriptions : Aude (2e), Charente (3e), Dordogne (2e), Pas-de-Calais (5e et 9e), Pyrénées-Orientales (4e), Sarthe (3e), Tarn-et-Garonne (2e) et Vosges (4e). Six d’entre elles ont été conquises dimanche par le parti d’extrême droite.