En Guyane : défendre les droits amérindiens, de la rue aux urnes
Cofondateur et porte-parole du mouvement Jeunesse autochtone, Christophe Yanuwana Pierre se présente aux législatives et espère porter les revendications des peuples de la région utlramarine.
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Christophe Yanuwana Pierre pour ses interlocuteurs, Christophe Pierre pour l’état civil. À 29 ans, le jeune homme souhaite modifier des papiers d’identité lacunaires et y ajouter son nom kalinago, en hommage à l’ethnie amérindienne à laquelle il appartient, et que lui a attribué sa mère à la naissance. Mais, à l’époque, la mairie refusait d’enregistrer les noms amérindiens. Une considération administrative à l’image du traitement réservé aux Amérindiens d’après lui : discriminant et invisibilisant. Traitement qu’il tente de combattre depuis plusieurs années, que ce soit dans la rue, dans les salles de cinéma ou dans les urnes, puisqu’il se présente aux législatives les 12 et 19 juin dans la deuxième circonscription guyanaise.
Originaire d’un petit village proche de Saint-Laurent et de la rivière Maroni, en Guyane française, le jeune homme revendique son identité amérindienne. En attestent les colliers traditionnels qui ornent son cou. Actuellement salarié au sein d’un institut médico-social, Christophe Yanuwana Pierre ne cesse d’ajouter des lignes à son CV. En mission à Paris pour le Grand Conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengue, il est l’un des signataires de l’accord Guyane en 2017, dans lequel, après cinq semaines de mouvement social, l’État s’engageait sur un « plan d’urgence » de 1,086 milliard d’euros. Il a également été invité à parler des droits autochtones devant l’ONU en 2019.
Sa volonté d’afficher ses origines n’est pas si ancienne. Lui-même a découvert l’histoire de son peuple sur le tard. « Dans mon village, se souvient-il, on écoutait bien plus de rap américain que de chants traditionnels, on se serait cru aux États-Unis. » C’est en allant étudier à Nancy après le bac qu’il délaisse les blockbusters américains pour visionner des documentaires sur les peuples autochtones. Dans la ville lorraine, il entame une licence en aménagement du territoire afin de pouvoir cartographier sa terre natale. « Je suis venu en France sans réellement connaître la Guyane », reconnaît-il. Il reste particulièrement marqué par le visionnage de documentaires traitant de l’orpaillage illégal : « Cela se passe au niveau du fleuve où j’ai grandi et pourtant je n’étais pas au courant ! »
Christophe Yanuwana Pierre tirera un autre constat de ce bref passage en métropole : « J’ai subi le regard des autres. Sans le vouloir, on te fait comprendre que tu n’es pas Français. » Vision que le jeune homme semble avoir intégrée puisqu’il n’utilise jamais les termes « Hexagone » ou « métropolitain ». Dans ses propos transparaît une nette distinction entre France et Guyane française.
En métropole, « sans le vouloir, on te fait comprendre que tu n’es pas Français. »
De retour chez lui, il souhaite partager ses découvertes avec ses proches. Entré en contact avec une association diffusant des films sur la culture amérindienne, il ne tarde pas à leur emprunter du matériel de projection. C’est grâce à la présidente de l’association qu’il échange son rôle de spectateur contre celui d’acteur. « Réalise ton propre film au lieu de projeter ceux des autres », lui intime-t-elle. Le suicide des jeunes Guyanais était le sujet initialement choisi par Christophe Yanuwana Pierre pour son premier long-métrage. Mais, « au fur et à mesure de l’avancée du projet, je me suis rendu compte que je n’avais pas la maturité nécessaire », explique celui qui a perdu plusieurs amis. Finalement, dans Unti, les origines, le néodocumentariste préfère « disséquer » son esprit, « l’étaler pour comprendre ce qui ne va pas ».
Transmission
Le tournage et le montage de son film lui auront permis de redécouvrir les coutumes et traditions de son peuple. « J’ai surtout compris que j’en voulais aux vieux qui ne nous ont pas transmis leur culture. » Il constate un décalage entre les deux générations. « Les vieux ne vont pas nous apprendre la vannerie en trois heures de cours : ils enseignent par le mimétisme. Pas seulement la technique mais aussi la philosophie derrière. » En menant à terme son projet, le jeune homme a su devenir un médiateur. Il le reconnaît lui-même : « Avant ce film, je ne traînais qu’avec des jeunes ; après, j’ai surtout traîné avec des vieux. »
Il n’hésite d’ailleurs pas à assumer leur rôle de transmission. Notamment auprès de Clarisse Taulewali, artiste de 22 ans et membre de la Jeunesse autochtone de Guyane. Tous deux se sont rencontrés en 2017, lors des importants mouvements sociaux qui ont eu lieu dans le département sud-américain. La jeune femme était alors lycéenne et s’est tournée vers le désormais candidat à la députation pour lui emprunter un drapeau : celui des six nations autochtones de Guyane. « C’est lui qui m’a tout appris sur les problématiques des populations autochtones », affirme sans hésitation celle qui travaille désormais à ses côtés.
« Nous préférons nous battre pour des terres, du noyau jusqu’aux étoiles, que pour 20 centimètres de couche sur le sol. »
C’est dans la rue que le besoin de défendre un héritage culturel s’est d’abord exprimé. « Avec les jeunes que j’ai rencontrés, on s’est dit qu’il fallait se battre pour nos peuples puisque personne ne le faisait », résume-t-il. Avec eux, il s’engage certes aux côtés des autres Guyanais, mais alors que tout le monde porte du noir, eux décident de manifester en tenues rouges. Une singularité affirmée à plusieurs reprises dans le parcours de Christophe Yanuwana Pierre. Il se souvient notamment de l’époque où il souhaitait entrer dans l’armée. Il prépare les concours avant d’abandonner, faute de pouvoir se couper les cheveux. Cette marche arrière ne relève pas de considérations capillaires, mais d’une tradition : « Je venais de perdre mon père et, chez nous, lorsque l’on porte le deuil, il est interdit de se couper les cheveux. » Un schéma similaire se reproduit lors des accords de Guyane. « Nous avons préféré défiler avec tous nos attributs, des plumes, des peintures de guerre et des habits traditionnels, plutôt que nos simples carcasses. »
Visibilité
Christophe Yanuwana Pierre préfère toutefois nuancer : « Nous voulions affirmer notre identité culturelle et nos couleurs, tout en rejoignant un mouvement plus large. » Il se détache d’autres mouvements militants radicaux, notamment ceux qu’ils désignent comme panafricanistes. Il ne comprend pas « ceux qui s’identifient aux civilisations égyptiennes qui ont mis en esclavage des milliers de personnes pour construire des trucs aussi inutiles que les pyramides ». S’il émet des critiques, il n’emploie jamais un ton agressif. Il tempère immédiatement, avec amusement : « Mes ancêtres n’ont rien laissé à part les hamacs, plus belle invention sur terre, mais nous avons le mérite d’exister autant que les autres. » Il entend que certains souhaitent se confronter à la culture occidentale, mais craint que ne se produise un effet miroir. « Il y a un piège dans la recherche de soi : celui de se construire en opposition à l’autre. »
Piège qu’il s’efforce d’éviter. Durant son mandat au sein du Grand Conseil coutumier, le jeune militant s’intéresse aux autres combats à mener sur ses terres. « Je ne peux pas uniquement me concentrer sur les Amérindiens : nos problèmes sont les mêmes que ceux de la plupart des Guyanais. » Parmi les principales revendications du candidat : des engagements de l’État sur le foncier. « Tout le monde utilise ce terme, mais c’est un discours de Blanc. Nous préférons nous battre pour des terres, du noyau jusqu’aux étoiles, pas simplement pour 20 centimètres de couche sur le sol », justifie-t-il avec poésie. Il revendique également une plus grande autonomie pour la Guyane française. D’après lui, la législation adoptée au niveau national reste trop souvent inadaptée aux réalités du terrain. Il prend pour exemple les règles encadrant le permis de chasse. « En France, ça permet de préserver la faune et les joggeurs. Ici, ça prive les gens de nourriture. Ça n’a aucun sens qu’un formateur vienne nous apprendre à chasser alors que mon peuple le fait depuis des siècles. »
L’idée d’une défaite ne semble pas l’ébranler. Il l’a déjà vécue puisqu’il s’était présenté en tant que suppléant lors des dernières législatives. « Je m’en fichais un peu, c’était essentiellement pour avoir de la visibilité, et j’avais négocié deux passages sur des plateaux de télé pour pouvoir parler de la Montagne d’or (1). » Aujourd’hui, son but reste le même, mais son ressentiment envers les autorités nationales s’est accru au cours du quinquennat d’Emmanuel Macron. Et du mandat des députés LREM en Guyane. « Jusqu’ici, nous avons eu davantage de soutien de la part de députés de France que de la part de ceux-là, qui ne font que valider la politique gouvernementale », constate-t-il avec amertume. Et de conclure : « Le cadre réglementaire guyanais ne doit plus être défini par des personnes qui ne connaissent pas la Guyane. »
(1) Projet d’exploitation d’une mine d’or, qui a rencontré une grande résistance (lire Politis n°1511), finalement abandonné par le gouvernement en 2019.