« Finale Fantaisie », de François Cusset : Tranches de (fin) de vie

Dans le refus des maisons de retraite ordinaire, Finale Fantaisie, de François Cusset, livre un tableau jubilatoire de la vieillesse.

Jean-Claude Renard  • 8 juin 2022 abonné·es
« Finale Fantaisie », de François Cusset : Tranches de (fin) de vie
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Commençons par Suzanne. À la retraite après une longue carrière d’iconographe de presse, à faire se poiler ses collègues et « les engueuler pour leur zèle, à s’enflammer contre l’irruption progressive des managers et des cost-killers et la lâcheté des journaleux qui laissent arriver chez eux ce qu’ils dénoncent dans leurs papiers ». Suzanne, et sa « cambrure callipyge intacte », cuisinière à l’instinct, soucieuse du ménage bien exécuté, la main verte et son pas de danse affaibli. À ses côtés, Leïla, calée dans l’humilité, fille d’un garagiste séfarade et d’une institutrice jordanienne, passée par l’architecture et le design, avant d’entretenir deux marottes, le sport et la religion.

Leïla et Suzanne sont deux « colocas ». Deux colocs cocasses. Pas du genre « marâtres épaissies ni mégères en déclin ». S’ajoute Bob, Robert pour l’état civil, passionné de révolution, d’un pessimisme truculent sur l’émancipation collective, ancien médecin des prolétaires, au service des pouilleux, bricoleur à l’infini.

Présentation faite, se dresse un quatrième larron, le narrateur, surnommé Frizou, chroniqueur du quotidien, « pour ne pas mourir », pour se faire « une petite gym de mots », arc-bouté sur ses contemporains qu’il emmerde, avec qui « il n’a rien d’autre en commun qu’une vague date de naissance, une date de mort probablement concomitante, et tout ce qu’on aura vu s’écrouler entre les deux, de notre vivant ».

Voilà quatre colocataires installés dans un vaste duplex, rue Érard, dans le douzième arrondissement parisien, à deux jets de pierre de Reuilly-Diderot. Quatre bougres d’ânes et d’andouilles qui ont choisi au grand âge la vie collective plutôt que le mouroir d’une maison de retraite. Quatre personnages qui ont opté pour une « finale fantaisie » (d’où le titre du livre), nom de baptême du duplex, pour mieux se marrer peut-être, mieux en finir dans cette dernière demeure, ce « communisme amical ». Ça reste un appartement de vieillards « qui ne savent pas qu’ils le sont ». Ensemble, on se paye le luxe, « un peu snob, d’être à contre-courant, non seulement du monde à venir mais aussi du tout-venant de nos contemporains ».

Refusant l’empathie et le chant du cygne, c’est une tranche de fin de vie que relate ici François Cusset. Mis à part un passage au ralenti, au diapason des protagonistes dans leurs mouvements, Finale Fantaisie s’avance ainsi, en un long soliloque dans un décor original, au comique atrabilaire, tantôt coquin et salace, tantôt désabusé, avec ses doutes, ses hésitations, ses colères, ses goûts peu nombreux et ses dégoûts en masse. Pour son âge, pour ces seniors qui encombrent, lui-même personnage en vrac « contre l’impudeur pathétique qu’il y a à entamer un journal intime, une sorte de récit de soi, à un âge pareil ». À la manière d’un Thomas Bernhard, fin observateur du monde alentour. À grands coups de phrases longues, qui fouillent le souffle, rompues par des phrases nominales qui sonnent comme des sentences. À son troisième roman, après À l’abri du déclin du monde et Les Jours et les jours, l’écrivain, historien des idées, essayiste a trouvé son style. Le parti pris de la jubilation.

Finale Fantaisie, François Cusset, P.O.L, 272 pages, 19 euros.

Littérature
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