« Hound Dog » : Elvis, Dieu et un chien

Hound Dog est une bande dessinée grinçante et drôle, entre philosophie de comptoir et héritage populaire américain.

Marion Dumand  • 15 juin 2022 abonné·es
« Hound Dog » : Elvis, Dieu et un chien
© éditions Denoël

Discussion marketing autour d’un whisky haut de gamme. Silhouettes d’un Elvis en blanc qui danse, danse, danse, se fige – plan moyen –, nous regarde – gros plan – et aboie. Voilà le prélude à Hound Dog, deuxième bande dessinée de Nicolas Pegon. Puis César se réveille. Plans fixes sur la bière bon marché, les chips renversées, les médocs. Et le chien, un peu gras, un peu gros. Ce chien que César n’a jamais vu, qui va faire l’objet de sa quête. Et le coloc, embarqué en pleine réalité virtuelle. Et le voisin, accro aux théories. « De la philosophie de comptoir, dit Nicolas Pegon, dont on ne sait jamais vraiment si c’est brillant ou complètement idiot », en sous-texte permanent.

Dans Hound Dog, on dirait que tout est familier, si ce tout comprend les moustaches de Dennis Hopper, la dégaine d’un Brautigan devenu blond, d’un Jim Harrison aux cheveux longs. Tous vieux, harassés. Nicolas Pegon dit de ses personnages qu’ils sont des « anti-héros, pathétiques mais beaux quand même ». Que César est un mélange de Grant Sabin, bluesman de son documentaire animé (1), et de lui-même : même stature, mêmes fringues, mêmes médecins. Qu’Alex porte les cheveux gominés d’Elvis, les fringues de James Dean, la dégaine d’un « qui veut être un bonhomme ». Hound Dog a des racines littéraires et états-uniennes, de Mon chien Stupide, de John Fante, du « Zoo libéré » de Bukowski (le sexe en moins), un parfum d’apocalypse, façon La Route de Cormac McCarthy, et d’étrange normalité très K. Dick ou Burroughs. On pense aussi au Charles Burns de Black Hole ou Toxic pour le graphisme franc et flippant. C’est dire si on en convoque, du beau monde.

Et Nicolas Pegon d’en inviter d’autres. « Quand j’écris, je me fais la bande-son qui va avec. » Ici, il y a donc Elvis de « Hound Dog » et « Blue Moon », mais aussi la chanson « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (1969) et « Death Bells » de Lightnin’ Hopkins (1948). « Des chansons apocalyptiques, des thématiques lugubres. » Comme les « murder ballads », ces chansons anglo-saxonnes qui disent meurtres et faits divers, « ce truc qui m’obsède, dit Pegon, la musique et le narratif, le conte, la légende ».

La musique est là aussi, jusque dans la couleur. « Je voulais quelque chose d’un peu passé, désuet, surtout pour la ville : même si c’est un endroit habité, je voulais une ambiance vide et morte. Je prends souvent comme référence des films pour les gammes colorées, et puis je m’en éloigne. Une scène m’a longtemps obnubilé par ses oranges, celle où Townes Van Zandt chante “Waitin’ around to Die”, avec sa chemise en jean et sa guitare orange, dans le documentaire sur l’“outlaw country” [la country hors-la-loi], Heart-worn Highways_, de James Szalapski_ [1975]. » Oranges, gris, beiges, noir. Dessin à l’ordinateur. Aplats. Réalisme synthétisé. Ce qui peut rebuter. Et qui là fonctionne parfaitement, élément d’un ensemble ciselé, huilé, grinçant. Bien plus brillant qu’idiot.

Dans Hound Dog, rien n’est ce qu’il est. Elvis est Dieu, un ciel étoilé une flaque d’eau, un steak haché composé (scientifiquement) d’excréments humains. « Aucune anomalie », le diagnostic médical tombe – bang – sur un bras qui pourtant ne bouge plus, le flingue de cinéma tire une balle – bam ! – et tue. Et qui sait si un cadavre naît d’un suicide, d’un meurtre, d’un accident.D’un mélange.

Rien n’est ce qu’il est, pas même la fin du monde, mais c’est un bon début pour une histoire : « On imagine toujours une météorite ou la guerre nucléaire. Un truc soudain. Et si c’était qu’une sorte de décrépitude. Les corps qui s’arrêtent tout simplement. »

La mort, quoi. Et puis se trimbaler avec un clebs qui n’est pas le sien. De notre côté, rire enfin aux éclats. Et s’en lécher les babines.

(1) One After the Other, docu-fiction en animation numérique 2D, Miyu Productions, 2018, 13 min.

Hound Dog, Nicolas Pegon, Denoël Graphic, 204 pages, 24,90 euros.

Littérature
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