« J’ai horreur de l’amour » : La vie en noir et rose de Bertrand Betsch
Le superbe album J’ai horreur de l’amour parvient à irradier une grande euphorie sur fond d’une sombre mélancolie.
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Paru en 1997 chez Lithium, label phare de la scène française indépendante des années 1990, le premier album de Bertrand Betsch, La Soupe à la grimace, a révélé un auteur-compositeur-interprète présentant une parenté artistique certaine avec Dominique A (lui aussi découvert grâce à Lithium) mais attestant néanmoins d’emblée une personnalité très singulière, qui n’a cessé par la suite de s’affermir.
Bertrand Betsch se distingue également, et sans doute encore davantage, en tant qu’auteur. Justes, incisives, parfois caustiques, volontiers teintées d’humour noir, ses paroles témoignent d’un vrai tempérament littéraire. En parallèle de la confection de chansons, l’intéressé s’adonne d’ailleurs à une autre sorte d’écriture mais n’a encore publié que quatre livres – contre dix-sept albums à ce jour.
Dans le domaine de la chanson française, deux grandes figures – dont le rapprochement ne manque pas d’étonner – trônent au sommet de son panthéon intime : Gérard Manset et Alain Souchon. « J’écoute Manset depuis que j’ai 12 ans. Grâce à lui, j’ai découvert que l’on peut faire de la chanson d’auteur », confie Bertrand Betsch en tête-à-tête dans un café à Toulouse, ville où – originaire de l’Essonne – il vit depuis 2010.
« Ce que je trouve passionnant dans la chanson, c’est d’organiser la rencontre entre deux langages : un texte et une musique, poursuit le chanteur. Le moment où les deux se rejoignent, où la chanson advient, s’apparente à une épiphanie. L’écriture proprement dite se fait assez vite, mais la suite du processus me prend un temps fou. Tout le reste m’apparaît plus fastidieux. J’ai moins d’allant, je traîne… C’est paradoxal : j’ai l’impression d’être très prolifique, et pourtant je suis assez laborieux. »
Si l’on regarde la discographie du chanteur, son rythme de production apparaît en effet plutôt soutenu, surtout entre 2011 et 2022 (treize albums), sans rien céder sur l’exigence. Très inspirés, les albums les plus récents, à partir de La Traversée (2020), indiquent une période fertile au niveau créatif – ce que vient encore confirmer le dernier en date, J’ai horreur de l’amour, sorti fin avril.
Bertrand Betsch a commencé à y travailler en avril 2020, durant le premier confinement – précision purement contextuelle. « J’ai traversé une sérieuse crise -personnelle, sans lien avec la pandémie. Je suis tombé assez bas. Écrire des chansons m’a permis de remonter la pente et de rebondir. J’ai connu ensuite une phase créatrice tout à fait galvanisante. »
L’album a été achevé en 2021, les arrangements de cordes étant tissés par la multi-instrumentiste et productrice Salomé Perli – partenaire musicale depuis 2015. De longs mois ont été nécessaires pour le mixage, dont Betsch s’est lui-même chargé. « Plus le temps passe, moins j’ai de moyens pour faire des albums. Je suis obligé de m’arranger avec des budgets très réduits. »
Enthousiasmant, le résultat permet de vérifier, une fois de plus, que le manque de moyens ne bride en rien la créativité. Si les textes et certains titres de chansons (« Tout doit disparaître », « Détruire dit-elle », « En-dessous », « Deadline »…) semblent provenir d’un profond puits dépressif, l’album ne s’abîme jamais dans l’auto-complaisance mortifère, grâce à une belle aptitude à l’ironie, à l’interprétation tout en légèreté et aux parties musicales alertes et contrastées. Tout du long, il exhale une sorte de mélancolie gaie ou de tristesse enjouée – un peu comme si son concepteur voyait la vie à la fois en noir et en rose.